Une entente entre le Parti libéral, le NPD et le Bloc québécois sur la formation d'un gouvernement de coalition est imminente. Les Canadiens sauront vraisemblablement mercredi au plus tard à quoi ressemblerait ce nouveau gouvernement, a appris La Presse hier soir.

Le marathon de négociations entrepris jeudi dernier par les trois partis en réaction à l'énoncé économique du ministre des Finances Jim Flaherty s'est poursuivi hier soir dans un hôtel d'Ottawa.

Libéraux, bloquistes et néo-démocrates avaient unanimement condamné cet énoncé parce qu'il ne comporte aucune mesure pour stimuler l'économie canadienne. En outre, il proposait d'abolir les subventions annuelles versées aux partis politiques, mais le gouvernement Harper a battu en retraite sur cette question samedi.

Depuis jeudi, l'ancien premier ministre Jean Chrétien et l'ancien chef du NPD Ed Broadbent jouent un rôle influent dans ces négociations.

«L'étape des négociations tripartites est engagée. Il va y avoir une entente et ce sera fait très rapidement. On va convenir de la durée du gouvernement de coalition et de ses priorités dans les premiers mois. Ce sera évidemment l'économie», a affirmé une source bien au fait du déroulement des pourparlers.

Le gouvernement Harper pourrait être défait à la Chambre des communes le lundi 8 décembre, date prévue du vote de confiance sur l'énoncé économique du ministre Flaherty. Ce même jour, les électeurs sont convoqués aux urnes au Québec.

L'entente sans précédent qui se dessine entre les trois partis, dont les grandes lignes seront rendues publiques cette semaine par souci de transparence, servira aussi à rédiger le discours du Trône d'un éventuel gouvernement de coalition, selon ce qu'a appris La Presse dimanche soir. L'ébauche d'une entente devrait être soumise au caucus des trois partis aujourd'hui ou demain.

Questions en suspens

Il reste certaines questions importantes à régler, notamment le nombre de sièges qu'obtiendraient les néo-démocrates dans un tel gouvernement. Le NPD souhaite en avoir le tiers. Le Bloc, lui, ne veut pas siéger au conseil des ministres, mais il est prêt à appuyer l'essentiel du programme du gouvernement de coalition, dont il influencera grandement la politique, même s'il prône la souveraineté du Québec.

Pour sa part, le Parti libéral doit déterminer qui pourrait diriger la coalition. Stéphane Dion est toujours le chef, mais il a déjà annoncé son intention de quitter la barre du parti en mai 2009, quand on lui aura choisi un successeur.

Chose certaine, la très forte majorité des députés libéraux ne souhaite pas que M. Dion dirige la coalition. «Il y a beaucoup de résistance pour que Dion soit à la tête de ce gouvernement. Dion en est conscient aussi», a confié à La Presse une source libérale.

Les trois candidats à la direction du PLC, Michael Ignatieff, Bob Rae et Dominic LeBlanc, se sont d'ailleurs réunis dans un restaurant de Toronto, hier soir, afin de discuter de cette délicate question. Selon nos sources, M. LeBlanc est prêt à se rallier à M. Ignatieff si tel est le voeu du caucus libéral. Il ne reste donc qu'à convaincre Bob Rae et Stéphane Dion d'accepter cette option. Les pressions s'accentuent en ce sens depuis quelques heures.

Si M. Dion décide de se retirer plus tôt que prévu, le prochain chef du PLC pourrait être choisi par un vote du caucus et ratifié par l'exécutif national.

Les conservateurs à l'attaque

Par ailleurs, les stratèges conservateurs ont tenté hier de faire dérailler les négociations entre les trois partis de l'opposition en affirmant que le NPD et le Bloc québécois avaient entrepris des discussions pour travailler plus étroitement ensemble bien avant que la crise politique n'éclate la semaine dernière.

Le Parti conservateur a révélé le contenu d'une conférence téléphonique organisée samedi par le chef du NPD, Jack Layton, afin de faire le point avec ses députés sur les négociations en cours. Le Parti conservateur a obtenu un enregistrement de cette conférence téléphonique après qu'un de ses membres eut été invité par erreur à y participer. Une transcription et une bande audio ont été remises aux journalistes hier.

Jack Layton y affirme qu'il discute avec Gilles Duceppe de la possibilité travailler avec lui «depuis une bonne période de temps».

«On peut dire ici que nous avons des stratégies. Tout cela ne se serait pas produit si nous n'avions pas tendu des perches au Bloc il y a longtemps et acquis leur appui», dit M. Layton.

Il ajoute que l'appui du Bloc au gouvernement de coalition serait une bonne chose pour l'unité nationale: «Rien ne pourrait être meilleur pour notre pays que d'avoir 50 députés qui ont été élus pour séparer le Québec mais qui en fait contribuent à faire du Canada un meilleur endroit», a dit M. Layton.

«Nous jouons un rôle clé dans tout cela. (...) Il n'y a personne qui pouvait imaginer qu'il serait possible pour le Bloc québécois et le Parti libéral du Canada d'entreprendre des pourparlers au sujet de l'avenir du pays. Il se trouve que nous sommes la colle qui tient cela ensemble», dit encore Layton dans cet enregistrement.

Les stratèges du Parti conservateur croient que ces propos sont la preuve de la mauvaise foi de l'opposition. «M. Layton prouve que le NPD ne veut pas renverser le gouvernement en raison de l'économie ou de la mise à jour financière. La mise à jour économique était un prétexte pour exécuter une entente secrète qui existe depuis longtemps entre le NPD et le Bloc. Pour la première fois depuis sa création, le Bloc est dans la poche du NPD, un parti fédéraliste et ultra-centralisateur», a affirmé Dimitri Soudas, proche collaborateur du premier ministre Stephen Harper.

Un stratège du NPD, Brad Lavigne, a déclaré que les canaux de communication entre le NPD et le Bloc sont ouverts depuis un certain temps, mais qu'il n'a jamais été question d'un gouvernement de coalition avant jeudi.

Du côté du Bloc québécois, on a catégoriquement nié que les tractations aient commencé bien avant l'énoncé économique.