Confronté à une économie chancelante, le gouvernement Harper anticipe de très maigres surplus pour ses deux prochains budgets. En fait, ces surplus seront annulés par une intervention du fédéral dans des secteurs industriels névralgiques. Mais pour éviter un déficit abyssal, le gouvernement conservateur annonce des ventes d'actifs de 2,3 milliards et des réductions de dépenses de 2 milliards. Il prévoit aussi de nouvelles règles pour mieux protéger les épargnants. Insatisfaits, les partis de l'opposition menacent de voter contre le plan. Le Canada est-il sur le point de retourner en élections?

Le gouvernement Harper a provoqué une crise politique extrême qui risque d'entraîner sa chute en présentant hier aux Communes un énoncé économique qui a été catégoriquement et unanimement condamné par les partis de l'opposition.

Dans des mouvements de colère rarement vus à Ottawa, le Parti libéral, le Bloc québécois, le NPD et le Parti vert ont vivement rejeté le document du ministre des Finances, Jim Flaherty, estimant qu'il ne contenait aucune mesure pour contrer la crise financière.

L'opposition a particulièrement mal réagi à l'annonce du grand argentier de mettre un terme aux subventions annuelles de l'État versées aux partis politiques, une mesure surtout défavorable aux libéraux, aux bloquistes, aux néo-démocrates et aux verts. Ces partis ont qualifié d'«inacceptable» et «antidémocratique» l'idée de changer le mode de financement des partis politiques en pleine crise financière afin d'économiser 27 millions de dollars par année.

Dans ce contexte, le gouvernement conservateur risque d'être renversé dès lundi soir au cours du vote de confiance qui aura lieu aux Communes sur cet énoncé économique. Hier soir, un stratège conservateur a fait savoir que le gouvernement Harper n'a guère l'intention de reculer sur cette question.

«Les partis de l'opposition sont bien plus préoccupés par leurs subventions que par la crise économique», a dit ce stratège conservateur.

Divers scénarios évoqués

L'affrontement semble donc inévitable lundi soir. Selon des informations obtenues par La Presse, des représentants des trois partis de l'opposition ont évoqué dès hier soir divers scénarios, dont celui de la formation d'une coalition entre le Parti libéral et le Nouveau Parti démocratique pour former un gouvernement.

Des responsables au PLC, au NPD et au Bloc québécois, qui ont requis l'anonymat, ont confirmé à La Presse que des discussions étaient en cours à divers niveaux sans pour autant que l'on consente à les qualifier de « négociations ».

«On se parle», a affirmé une source néo-démocrate.

«Ce sont des discussions préliminaires», a renchéri un stratège libéral.

Du côté du Bloc québécois, on confirme que des rencontres ont eu lieu hier à divers niveaux avec les libéraux, les verts et le NPD. Cependant, des sources bloquistes ont déclaré à La Presse qu'il n'était pas question pour le Bloc de participer à un quelconque gouvernement de coalition en acceptant des postes de ministre.

Le Bloc va s'en tenir à sa stratégie historique de soutien ou de rejet les politiques du gouvernement au pouvoir, quel qu'il soit, selon qu'elles correspondent ou non aux intérêts du Québec, a-t-on fait savoir.

Du côté du NPD, La Presse a appris que le chef Jack Layton a annulé le discours qu'il devait prononcer aujourd'hui à Vancouver afin d'être au plus près des événements qui se passent en ce moment dans la capitale fédérale. Une source néo-démocrate a affirmé que cette décision constitue « un geste intéressant » alors que des discussions sont en cours entre les partis de l'opposition.

Discussions chez les libéraux

Chez les libéraux, des sources ont confié que des discussions avaient eu lieu hier soir entre Bob Rae et Michael Ignatieff pour tenter de déterminer lequel des deux aspirants chefs pourrait diriger le parti advenant la chute du gouvernement Harper.

En outre, des libéraux influents ont demandé à l'ancien premier ministre Jean Chrétien des conseils pour favoriser un départ plus rapide de Stéphane Dion, rapportait hier soir La Presse Canadienne. M. Dion prévoit rester à la barre du parti jusqu'à ce qu'un successeur soit élu en mai prochain à Vancouver.

Tout ce remue-ménage a été déclenché lorsque les libéraux de Stéphane Dion ont fait connaître en fin d'après-midi hier leur décision de ne pas appuyer - tout comme le Bloc et le NPD - la mise à jour économique et financière du ministre Flaherty.

«Nous ne pouvons pas appuyer le plan que le ministre des Finances vient de présenter, a déclaré M. Dion aux journalistes. Nous ne pouvons pas le faire car ce n'est pas un plan pour stimuler l'économie. (...) Nous voterons contre.»

Dans un discours enflammé aux Communes, le chef du Bloc québécois Gilles Duceppe s'est également insurgé contre l'énoncé économique conservateur.

«Au lieu de s'attaquer à la crise économique, le gouvernement conservateur a décidé de s'attaquer à la démocratie ainsi qu'aux droits des femmes et des travailleurs, a-t-il ragé. Le premier ministre a fait passer l'idéologie avant l'économie. Il a fait passer la partisanerie avant la démocratie. Il a choisi de s'attaquer au Québec.»

Jack Layton n'y est pas non plus allé de main morte contre le plan Harper. «Il ne s'agit pas d'un plan pour stimuler l'économie canadienne en difficulté. Au contraire, c'est une gifle pour les Canadiens qui ont besoin d'actions immédiates et audacieuses, a-t-il dénoncé. Dans l'annonce d'aujourd'hui, il n'y a rien pour créer des emplois, ni pour aider les travailleurs mis à pied, ni pour favoriser la confiance des consommateurs.»

Un parti en péril

La chef du Parti vert, Elizabeth May, n'a pas mâché ses mots d'autant plus que son parti pourrait être condamné à mourir si le financement public des partis politiques était aboli. «Nous ne pouvons pas permettre à un gouvernement cynique, aveuglé par le pouvoir, de détériorer encore plus notre économie tout en piétinant notre démocratie», a dit Mme May.

Plusieurs retiennent donc leur souffle en attendant de voir ce qu'il adviendra au Parlement dans les prochains jours. En coulisse, même les libéraux les mieux informés étaient réticents à se lancer dans des prédictions. Tandis que certains penchent vers des élections, d'autres croient qu'il est trop tôt pour se prononcer. D'autres, encore, ne croient pas à l'un ou l'autre des scénarios, et estiment qu'il est encore temps pour les conservateurs ou pour le Parti libéral de faire marche arrière.

Mais Michael Ignatieff a clairement écarté cette possibilité, en fin d'après-midi. «Je ne peux rien vous garantir. Je peux juste vous dire ce que je sais quant à l'état d'esprit de mon parti : nous sommes fatigués de rester assis.»