Paul Martin reconnaît volontiers qu'il a vécu une longue rivalité avec Jean Chrétien. Mais il souhaite tout de même que les Canadiens retiennent que les deux hommes ont réussi à travailler ensemble, dans les années 90, pour éliminer le déficit et remettre les finances publiques sur des fondations solides.

Dans une entrevue accordée à La Presse hier, M. Martin a soutenu qu'il n'aurait jamais réussi à venir à bout du déficit sans l'appui de Jean Chrétien. L'élimination de ce boulet financier a ensuite permis au gouvernement fédéral de faire de nouveaux investissements dans les programmes sociaux, dans les infrastructures, dans les domaines de la recherche et de la science, et aussi de réduire les impôts des contribuables.

 

Si le Canada réussit à traverser sans trop de mal la tempête financière sans précédent qui frappe tous les pays actuellement, ce sera en bonne partie grâce à ce travail de longue haleine réalisé durant les années 90, a noté M. Martin.

«Je pense que ce qui est le plus important, c'est ce que nous avons pu faire ensemble», a soutenu M. Martin, qui publie lundi prochain ses mémoires, intitulés Contre vents et marées.

«Si on a pu éliminer le déficit, presque effacer notre dette étrangère et adopter des règlements pour protéger nos banques, c'est parce que nous avons travaillé ensemble. Tout ce que j'ai fait comme ministre des Finances, je l'ai fait parce que j'ai eu l'appui du premier ministre Jean Chrétien», a ajouté M. Martin, qui a été premier ministre de décembre 2003 à janvier 2006.

«Nous avons eu nos désaccords. Je l'indique dans mon livre. M. Chrétien a écrit son livre. Il a donné son point de vue. Je viens d'écrire le mien. J'ai donné mon point de vue. Si on veut tout savoir, il faut lire les deux. Mais il faut maintenant parler de l'avenir», a-t-il encore dit.

M. Martin a été ministre des Finances de 1993 à 2002 dans le gouvernement de Jean Chrétien. Les deux hommes ont longtemps été rivaux. Ils étaient tous deux candidats à la direction de leur parti, que M. Chrétien a remportée en 1990. Les supporters de M. Martin ont souvent été accusés de vouloir pousser M. Chrétien à la retraite.

Dans son autobiographie de quelque 550 pages, M. Martin règle tout de même certains comptes avec M. Chrétien. Il accuse notamment son ancien patron de lui avoir laissé entre les mains «une bombe à retardement» en prorogeant le Parlement avant que la vérificatrice générale Sheila Fraser ne dépose à la Chambre des communes son rapport sur le programme des commandites.

Le scandale des commandites a fortement entaché l'image du Parti libéral du Canada, qui a perdu les élections au profit des conservateurs de Stephen Harper en 2006.

«Le premier ministre (Jean Chrétien) s'était déjà organisé pour que le rapport, qui traitait d'un problème qui s'était produit alors qu'il était en fonction, ne soit publié que lorsque je serais en poste», a écrit M. Martin.

Il prétend que, en s'esquivant prématurément, M. Chrétien a refusé de faire face à ses responsabilités. «Pour Jean Chrétien, la présentation du rapport de la Vérificatrice générale aurait certainement été une dure pilule à avaler à la veille de sa retraite de la vie politique. (...) Toutefois, soit parce qu'il craignait que son héritage fût entaché par le scandale des commandites, soit en raison de son aigreur à mon égard - il est le seul à pouvoir trancher la question - il fit en sorte de retarder la publication du rapport jusqu'à ce que j'aie pris sa place au 24, Sussex», peut-on lire dans ses mémoires.

Mais dans sa propre autobiographie, parue l'an dernier, M. Chrétien donne une version tout à fait différente des faits. Il soutient que c'est M. Martin et ses acolytes eux-mêmes qui l'ont pressé de partir au plus vite, alors que lui serait resté volontiers jusqu'en février 2004, après la publication du fameux rapport.

«À l'automne 2002, les partisans de Martin avaient tellement hâte de mesurer les rideaux dans le bureau du premier ministre et de se promener en limousine qu'ils ont obtenu de l'exécutif du parti d'avancer le congrès au leadership pour le fixer à novembre 2003», écrit Jean Chrétien dans Passion politique, paru chez Boréal en 2007.

Dans son livre, M. Martin estime que le scandale des commandites a donné un nouveau souffle au Bloc québécois alors qu'il était en perte de vitesse. «Il n'est pas exagéré de dire que le scandale des commandites a fait revivre le séparatisme et les partis séparatistes au Québec, qu'il a remis sur pied le NPD et qu'il a facilité l'union de la droite. Le produit final est un gouvernement national dirigé par le premier ministre le plus à droite de l'histoire du Canada. (...) De tout cela, les auteurs du programme de commandites ainsi que ceux qui l'ont perverti en détournant les yeux sont responsables», soutient-il.

Cela dit, M. Martin ne craint pas pour l'avenir du Parti libéral bien qu'il ait connu le pire score de toute son histoire (26% des suffrages) aux dernières élections. Toutefois, il reconnaît que le parti a du pain sur la planche s'il veut reprendre le pouvoir aux prochaines élections.

L'ancien premier ministre croit que le PLC doit s'imposer une période de réflexion comparable à celle qui a débouché sur la rédaction du premier Livre rouge du parti, en 1992. Ce document reflétait la vision libérale et a permis au PLC de remporter les élections de 1993.

«Je suis très confiant en l'avenir. Avons-nous des choses à faire? Absolument. Il faut maintenant s'ajuster à la nouvelle façon de faire en matière de financement du parti. Ensuite, il faut avoir une vision qui reconnaît les défis de l'avenir. Chaque fois qu'on est dans l'opposition, il faut utiliser cela pour vraiment récolter de nouvelles idées. Nous allons le faire et nous allons remporter les prochaines élections», a-t-il affirmé à La Presse.

Dans ses mémoires, M. Martin raconte certains passages importants de sa vie personnelle. Le livre contient aussi des chapitres sur les années passées à la barre de Canada Steamship Lines, sur son saut en politique, sur son expérience de ministre des Finances et sur les principaux dossiers dont il s'est occupé alors qu'il était premier ministre.

Avec La Presse canadienne.