(Ottawa) Le gouvernement fédéral ne ferme pas la porte à l’idée de tenir une enquête publique et indépendante sur l’ingérence étrangère au pays, mais il veut que les partis d’opposition collaborent « sérieusement » avec lui pour définir son éventuel mandat, son échéancier et la personne qui la dirigera.

Le ministre des Affaires intergouvernementales, Dominic LeBlanc, a fait part de ses attentes pour la suite des choses samedi, moins de 24 heures après que l’ancien gouverneur général David Johnston, qui avait été chargé d’enquêter sur l’ingérence étrangère lors des récentes élections fédérales par le premier ministre Justin Trudeau, a annoncé sa démission de son poste de rapporteur spécial.

Lors d’une conférence de presse, M. LeBlanc a réitéré que « toutes les options sont possibles » à partir de maintenant, que ce soit le déclenchement d’une enquête publique ou la nomination d’une personne qui prendra le flambeau directement là où M. Johnston va le laisser à son départ.

Mais avant toute chose, le ministre LeBlanc va consulter des experts et les partis d’opposition pour décider de la direction que prendront les travaux dans ce dossier qui a fait couler beaucoup d’encre à Ottawa ces dernières semaines.

« Si, ultimement, une enquête publique faite de la bonne façon et dirigée par la personne idéale est possible, nous serons tout à fait ouverts aux suggestions », a affirmé M. LeBlanc, avant d’interpeller directement les partis d’opposition.

« Depuis le début, l’opposition n’a pas pris la question (de l’ingérence) au sérieux. Ils ont simplement fait des suggestions sans aucune précision. »

Donc, au lieu de « seulement se lever en période des questions pour réclamer une enquête publique », les partis d’opposition devraient accepter de collaborer avec le gouvernement, selon M. LeBlanc.

« J’ai bien hâte de recevoir leurs suggestions, par exemple, de qui ils pensent qui pourrait mener cette enquête, quel sera son mandat et comment ils vont traiter la question des renseignements nécessairement secrets qui ne peuvent pas être divulgués dans une enquête publique », a-t-il dit.

M. LeBlanc a noté que les partis d’opposition devraient être en mesure d’unir leurs forces et d’aider le gouvernement dans ce dossier, puisqu’ils l’ont déjà prouvé en faisant adopter à la Chambre des communes une motion réclamant le départ de David Johnston.

« Ils ont tous voté en faveur d’une motion qui disait que le gouvernement devrait consulter les partis d’opposition, et c’est exactement ce que le premier ministre m’a demandé de faire. C’est ce que j’espère faire aujourd’hui, demain et cette semaine », a lancé le ministre des Affaires intergouvernementales.

« Franchement, on a hâte de constater le sérieux de leurs suggestions. Le moment est venu de diminuer le ton partisan et d’avancer idéalement ensemble. »

Une demande des oppositions

M. Johnston a annoncé vendredi qu’il va quitter ses fonctions d’ici la fin du mois, citant le climat « hautement partisan » autour de sa nomination et de son travail qui l’a empêché, à son avis, de redonner confiance aux Canadiens envers leurs institutions démocratiques.

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David Johnston

Tous les partis conviennent que les résultats des élections fédérales de 2019 et de 2021 n’ont pas été compromis par l’ingérence, mais les oppositions martèlent qu’une enquête publique est le seul moyen pour les Canadiens d’avoir confiance en leur système électoral.

Le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Jagmeet Singh, n’a pas dit s’il était prêt à travailler avec les autres partis d’opposition pour trouver une solution, mais il a félicité les libéraux d’avoir enfin entendu la demande des élus de l’opposition pour la tenue d’une enquête publique.

« Nous avons toujours dit que le processus devait être indépendant, public et transparent. Une enquête publique est la seule voie à suivre », a indiqué M. Singh par écrit samedi.

M. Singh a souligné que toute enquête publique doit être menée par un juge n’ayant aucun lien avec le Parti libéral ou la Fondation Pierre Elliott Trudeau — deux éléments qui étaient reprochés à M. Johnston.

Vendredi, le chef bloquiste Yves-François Blanchet estimait aussi sur Twitter que « le premier ministre Justin Trudeau n’a d’autre choix que de confier au Parlement la nomination d’un ou d’une juge qui présidera une commission d’enquête publique et indépendante sur les ingérences chinoises au Canada ».

De son côté, le Parti conservateur a fait savoir qu’il discuterait de plus amples détails sur une enquête publique indépendante une fois que le gouvernement en aura annoncé une.

« Les seuls à causer des problèmes sont les libéraux, avec le soutien de leurs partenaires de coalition du NPD », a affirmé samedi le porte-parole du chef conservateur Pierre Poilievre, Sebastian Skamski.

M. Skamski faisait référence à l’accord que les deux partis ont conclu qui assure aux libéraux le soutien des néo-démocrates lors de votes cruciaux aux Communes, leur permettant ainsi de demeurer au pouvoir jusqu’en 2025 malgré un gouvernement minoritaire.

Une enquête publique d’abord exclue

Dans son rapport préliminaire, M. Johnston avait exclu l’idée de tenir une enquête publique sur la question de l’ingérence étrangère, au grand dam des chefs de l’opposition.

Il expliquait qu’une enquête publique n’était pas la bonne façon de faire, car rendre publiques des informations secrètes risquerait de briser la confiance des alliés du Canada en matière de sécurité et de mettre en danger des sources de renseignement.

M. Trudeau a toujours dit qu’il allait suivre la recommandation de M. Johnston. Maintenant que ce dernier a démissionné, « toutes les options sont sur la table ».

« Nous avons chargé David Johnston de rédiger un rapport et de faire des recommandations. Il a fait un excellent travail, et nous examinons maintenant les prochaines étapes », a affirmé M. Trudeau depuis l’Ukraine, samedi, où il a fait une visite surprise.

Pendant ce temps, à Ottawa, le ministre LeBlanc a accusé les partis d’opposition d’avoir créé un « environnement toxique » qui a finalement poussé M. Johnston vers la porte. Il s’est dit préoccupé par le fait que trouver quelqu’un pour prendre la relève en tant que chien de garde contre l’ingérence étrangère ou pour mener une enquête publique pourrait être difficile.

« De nombreux éminents Canadiens vont hésiter naturellement à se porter volontaires pour entreprendre ce genre de travail lorsqu’ils verront ce que les partis d’opposition ont fait au très honorable David Johnston », a déclaré M. LeBlanc.

« Si nous pouvons faire baisser le ton partisan et avoir une conversation sérieuse, nous pourrons trouver un éminent Canadien pour diriger la prochaine étape du processus public. Et rapidement. »