Le milieu de l’éducation s’inquiète des nouveaux pouvoirs que s’arroge Bernard Drainville dans son projet de loi 23. Le ministre sera confronté à leurs critiques à compter de jeudi dans le cadre des auditions publiques en commission parlementaire. « On ne devrait pas laisser ça arriver au Québec », préviennent les comités de parents.

Que fait le projet de loi 23 ?

Avec cette deuxième réforme de la gouvernance scolaire en trois ans, Bernard Drainville se donne le pouvoir de nommer – et dégommer – les directeurs généraux des centres de services scolaires. Il pourra aussi défaire des décisions prises localement lorsqu’elles ne respectent pas les orientations gouvernementales. Son nouveau pouvoir, a-t-il dit lors du dépôt du projet de loi, en est un d’« exception ».

« Honnêtement, j’espère ne pas avoir à l’utiliser. Ça va être dans des cas où tu as un centre de services qui se détache de la vision du gouvernement en matière d’éducation. Il va falloir que ce soit pas mal grave pour qu’un ministre de l’Éducation se prévale de ce pouvoir-là », avait-il affirmé.

Un changement de cap

Cette nouvelle orientation inquiète le milieu de l’éducation, à qui le gouvernement Legault disait dans sa dernière réforme, pilotée par Jean-François Roberge, que les meilleures décisions dans les écoles étaient prises par ceux qui connaissent le nom des enfants.

« Il me semble que c’est un gros pouvoir entre les mains d’une seule personne. On ne devrait pas laisser ça arriver au Québec », estime Kévin Roy, président de la Fédération des comités de parents du Québec.

La présidente de l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire (AMDES), Kathleen Legault, craint que les directeurs généraux des centres de services scolaires innovent moins, maintenant qu’ils relèvent directement du ministre et qu’ils se sentent « en danger ».

« Qu’on laisse l’autonomie aux directions générales. Qu’ils rendent des comptes, mais qu’ils choisissent leurs moyens » pour atteindre des objectifs, demande pour sa part Nicolas Prévost, de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement (FQDE).

Un nouvel institut

Le projet de loi 23 crée un Institut national d’excellence en éducation, qui aura pour mandat de guider le réseau scolaire vers des pratiques pédagogiques appuyées par des données probantes. Cette nouvelle entité provoque un autre changement : Québec transforme le Conseil supérieur de l’éducation pour qu’il se concentre sur l’enseignement supérieur. Cette décision ne passe tout simplement pas.

On s’explique mal qu’on veuille s’attaquer au Conseil supérieur de l’éducation, qui est une instance prestigieuse et qui fonctionne. Clairement, si les gouvernements antérieurs avaient écouté leurs recommandations, notre système d’éducation se porterait mieux.

Kathleen Legault, présidente de l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire

Le spécialiste de la réussite scolaire Égide Royer ainsi que le coauteur du rapport du Groupe de travail sur la création d’un institut national d’excellence en éducation, Martin Maltais, croient également que Québec devrait maintenir le mandat actuel du Conseil supérieur de l’éducation.

Des défis pressants

M. Royer fait un portrait de la situation du réseau scolaire qui milite en faveur de la création d’un institut d’excellence en éducation. Par exemple, l’écart de réussite est « énorme » entre les garçons et les filles, dit-il.

Diplomation et qualification de la cohorte de 2014, suivie jusqu’en 2020-2021

Réseau public

  • Garçons : 74,0 %
  • Filles : 84,2 %

Réseau privé

  • Garçons : 91,1 %
  • Filles : 95,8 %

Les deux réseaux 

  • Garçons : 77,6 %
  • Filles : 86,8 %

M. Royer salue la volonté exprimée par Bernard Drainville de se doter d’un « tableau de bord » pour mesurer les effets de ses politiques sur la réussite scolaire. Le professeur Maltais souligne pour sa part que l’Institut national d’excellence en éducation donnera des informations cruciales au Ministère avec des données qui lui permettront de réagir plus rapidement quand vient le temps de mettre à jour les priorités.

D’autres enjeux

Kévin Roy, de la Fédération des comités de parents, et Sylvain Martel, du Regroupement des comités de parents autonomes, dénoncent le fait que Bernard Drainville dévalorise l’implication des parents dans le réseau de l’éducation en retirant aux conseils d’administration des centres de services scolaires – où ils siègent – le mandat de nommer les directeurs généraux.

C’est peu attrayant d’offrir de son temps et de son expertise alors qu’on a quelqu’un au-dessus de son épaule qui n’est pas [du milieu].

Sylvain Martel, porte-parole du Regroupement des comités de parents autonomes

Du côté syndical, la présidente de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), Mélanie Hubert, ainsi que la vice-présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ), Brigitte Bilodeau, estiment que le projet de loi 23 n’améliorera pas les conditions d’enseignement et d’apprentissage dans les classes.

« Le principal problème, le plus criant, c’est la pénurie de personnel. Rien sur la table ne va améliorer cette situation ou contribuer à attirer davantage d’enseignants », affirme Mme Bilodeau.

« On s’attaque à des changements de structures, mais sur le fond, on ne règle rien », conclut Mme Hubert.