(Ottawa) La Chambre des communes demande formellement à David Johnston de quitter ses fonctions de rapporteur spécial sur l’ingérence étrangère. Le principal intéressé répond qu’il a reçu son mandat du gouvernement et a la ferme intention de mener à terme le travail qu’il a entrepris en mars.

L’histoire jusqu’ici

  • David Johnston a été nommé rapporteur spécial indépendant en mars par Justin Trudeau afin de se pencher sur l’ingérence étrangère.
  • Dans un premier rapport présenté le 23 mai, M. Johston a écarté l’idée de recommander la tenue d’une enquête publique indépendante.
  • Les partis de l’opposition continuent de réclamer une telle enquête.
  • La Chambre des communes a adopté une motion du NPD mercredi demandant à M. Johnston de quitter ses fonctions.
  • Le principal intéressé affirme qu’il entend mener à terme le mandat que lui a confié le gouvernement.

Les partis de l’opposition ont uni leurs forces pour adopter par un vote de 174 à 150 une motion parrainée par le Nouveau Parti démocratique (NPD) exigeant le départ de M. Johnston. La motion, à laquelle se sont opposés les libéraux de Justin Trudeau, réclame aussi la tenue d’une enquête publique en bonne et due forme sur l’ingérence étrangère durant les élections fédérales de 2019 et 2021.

Ce vote a eu lieu après une période des questions particulièrement houleuse au cours de laquelle l’ingérence étrangère a de nouveau été le sujet dominant.

Le mandat de M. Johnston, qui en principe doit prendre fin en octobre après la tenue d’audiences publiques durant l’été, est donc plongé dans une forte tempête politique. En adoptant la motion du NPD, la Chambre des communes a exprimé essentiellement un vote de censure envers l’ancien gouverneur général du Canada sur cette délicate question.

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

Le chef du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh

« J’ai le devoir de poursuivre ce travail jusqu’à la fin de mon mandat »

Dans une déclaration envoyée à La Presse, le rapporteur spécial indique qu’il compte poursuivre son travail malgré tout.

« Lorsque j’ai accepté le mandat de rapporteur spécial indépendant, je l’ai fait en pleine connaissance du fait que le travail qui m’attendait ne serait ni simple ni sans controverse. Il s’agit de questions délicates et importantes qui doivent être traitées avec le sérieux qui s’impose », écrit-il.

« Il ne fait aucun doute que des gouvernements étrangers tentent d’influencer les candidats et les électeurs au Canada, et j’ai identifié de graves lacunes dans la manière dont les renseignements sont communiqués et traités par les agences de sécurité au gouvernement, ajoute-t-il. Cela dit, comme je l’ai indiqué, il reste encore beaucoup à faire et un processus public supplémentaire est nécessaire pour identifier les réformes spécifiques qui sont nécessaires pour préserver l’intégrité de nos institutions démocratiques.

« Je respecte profondément le droit de la Chambre des communes d’exprimer son opinion sur mon travail à venir, mais mon mandat émane du gouvernement. J’ai le devoir de poursuivre ce travail jusqu’à la fin de mon mandat. »

Une enquête en secret

La semaine dernière, M. Johnston a publié un premier rapport sur l’ingérence étrangère dans lequel il recommande notamment au gouvernement Trudeau de ne pas tenir d’enquête publique sur l’ingérence étrangère, comme le réclament à hauts cris le Parti conservateur, le Bloc québécois et le NPD depuis plusieurs semaines.

M. Johnston affirme qu’une enquête publique ne serait pas utile parce que les travaux devraient essentiellement avoir lieu en secret en raison de la nature délicate des renseignements touchant la sécurité nationale.

Le premier ministre a accepté les conclusions de son rapport. Au cours des derniers jours, M. Trudeau s’est aussi porté à la défense de M. Johnston, accusant les partis de l’opposition qui mettent en doute son intégrité et son impartialité de sombrer dans des attaques partisanes.

« On voit bien que des partis politiques tentent de marquer des points politiques sur cette question », a lancé le premier ministre mercredi matin avant la réunion hebdomadaire du caucus libéral.

« Mais le fait est que David Johnston a servi ce pays dans des capacités extraordinaires pendant des décennies. Il a été choisi à plusieurs reprises pour les postes les plus importants par Stephen Harper lui-même. C’est un homme qui, comme le montre le rapport, a pris cela incroyablement au sérieux et a rassemblé toutes les informations nécessaires. »

L’opposition « réduite au silence »

Le premier ministre a rappelé qu’il avait offert aux leaders des autres formations politiques la possibilité d’examiner les documents secrets auxquels a eu accès M. Johnston afin qu’ils puissent tirer leurs propres conclusions.

Mais le chef conservateur Pierre Poilievre et le chef du Bloc québécois Yves-François Blanchet ont rejeté cette offre au motif qu’ils seraient tenus de garder secrètes les informations auxquelles ils auraient accès. Selon eux, c’est une façon de les « réduire au silence » sur une question d’une importance capitale.

Avant le vote, M. Trudeau, qui a accusé M. Poilievre et M. Blanchet d’instaurer un climat toxique aux Communes, n’avait pas voulu dire ce qu’il comptait faire si la Chambre des communes adopte la motion du NPD.

Yves-Francois Blanchet a réagi en accusant le premier ministre de mettre « la démocratie en péril » en écartant une enquête publique.

Sur son compte Twitter, le chef bloquiste a aussi affirmé que la décision de David Johnston de demeurer en poste, malgré la volonté d’une majorité des élus aux Communes, est lourde de conséquences.

« La question devient lourde : ils jouent tout, appuis populaires, legs, crédibilité, et quoi encore ?… mais pour protéger qui ? ou quoi ? Il faut que ce soit gros. Y a-t-il des investisseurs proches du pouvoir libéral en Chine ? Des pressions chinoises ? Une passivité grave ? », a-t-il écrit.

De son côté, le ministre de la Justice, David Lametti, a dit trouver « dégoûtantes » les attaques personnelles du Parti conservateur contre David Johnston.

« On est en train de démolir les bonnes réputations des personnes qui ont beaucoup donné au pays. C’est arrivé aussi à des comités. On a maintenant même un problème avec des témoins qui ne veulent plus venir aux comités justement pour étudier nos projets de loi », a dit M. Lametti.