(Québec) Pierre Fitzgibbon a accueilli sèchement une « mise en garde » de la commissaire à l’éthique de l’Assemblée nationale, qui conclut toutefois que le ministre n’a pas enfreint le code de déontologie en participant à une partie de chasse au faisan dans une île privée propriété de gens d’affaires.

L’histoire jusqu’ici

  • Le 8 décembre 2022, Le Journal de Montréal rapporte que Pierre Fitzgibbon a participé à une partie de chasse au faisan dans une île privée du lac Memphrémagog appartenant à un groupe de riches hommes d’affaires bénéficiant de subventions publiques.
  • Le même jour, le Parti libéral du Québec puis Québec solidaire demandent à la commissaire à l’éthique de l’Assemblée nationale de faire enquête en disant que le ministre aurait commis des manquements au code de déontologie des députés. Ariane Mignolet ouvre une enquête.
  • Le 31 mai 2023, le rapport d’enquête de la commissaire est déposé à l’Assemblée nationale. Elle conclut que le ministre n’a pas enfreint le code d’éthique, mais elle lui sert une « mise en garde ».

« Une vigilance accrue est cependant de mise pour l’avenir, écrit Ariane Mignolet dans son rapport d’enquête déposé à l’Assemblée nationale mercredi. Bien qu’en l’espèce rien n’indique que la frontière entre la sphère privée et la sphère professionnelle a été franchie, il s’agit parfois d’un terrain hasardeux. »

Elle propose d’ailleurs la mise en place de nouvelles « mesures de prévention de conflits d’intérêts, apparents ou réels », afin de maintenir la confiance de la population envers les élus.

Questionné au sujet de la « mise en garde » de la commissaire, Pierre Fitzgibbon y est allé d’un commentaire tranchant lors d’une mêlée de presse d’à peine quelques secondes. « Écoutez, on va le dire bien net : il y a une ligne entre la vie personnelle et la vie professionnelle. Et là, c’est ma vie personnelle, et ça ne vous regarde pas ! […] J’y retourne l’an prochain », dans l’île.

Le ministre de l’Économie et de l’Énergie a précisé qu’il n’entendait « aucunement » changer ses façons de faire dans l’avenir.

Plus tôt, le premier ministre François Legault s’était permis de faire de l’humour tout de suite après le dépôt du rapport de la commissaire, au tout début de la période des questions au Salon bleu.

Le ministre a été complètement blanchi, il aura le droit de continuer à aller à la chasse au faisan. Par contre, on aimerait avoir des photos de lui avec son habit !

François Legault, premier ministre du Québec

Le Parti libéral du Québec, qui avait demandé l’enquête, « a l’air ridicule », selon lui.

Le Journal de Montréal a rapporté en décembre que M. Fitzgibbon avait participé l’automne dernier à une partie de chasse dans l’île de la Province, située sur le lac Memphrémagog, qui appartient à des personnes liées à des entreprises qui bénéficient de subventions publiques. Le Parti libéral du Québec puis Québec solidaire avaient demandé une enquête à la commissaire à l’éthique.

Dans son rapport, Ariane Mignolet soutient que le ministre n’a enfreint aucun des articles du code de déontologie.

« Il ressort de l’analyse que le ministre n’était pas dans l’exercice de sa charge au moment des faits. En effet, une invitation lui a été transmise parce qu’il est amateur de chasse et qu’il réside à proximité du lieu de l’activité et non en raison de ses responsabilités ministérielles », explique-t-elle. Il « n’a donc pu se placer dans une situation où son intérêt personnel pouvait influencer son indépendance de jugement ».

Aucune interaction professionnelle

Pierre Fitzgibbon « a participé à la partie de chasse aux faisans sans qu’il débourse quoi que ce soit », comme les autres invités. Elle précise que « cela inclut le transport aller-retour en hélicoptère, les munitions, le goûter et les rafraîchissements servis lors de la pause, le cocktail et le repas ainsi que la possibilité de partir avec des faisans abattus lors d’une chasse précédente ».

« La preuve révèle que le ministre et le propriétaire de l’île l’ayant invité [Maurice Pinsonnault] sont de bonnes connaissances, mais qu’elles n’ont aucune interaction professionnelle depuis l’arrivée du ministre en politique », ajoute la commissaire.

Elle poursuit en disant que « la preuve démontre que la participation du ministre à l’activité n’est pas liée à une prise de position ou à une intervention dans l’exercice de sa charge. Aucun dossier impliquant directement le ministre et les personnes présentes n’était actif au moment des faits. Il n’y a pas non plus eu de tentative d’influence par ces dernières. En fait, la preuve révèle qu’il n’y a eu aucune discussion entre les participantes et participants et le ministre au sujet de dossiers professionnels. » Elle précise qu’« aucune des personnes présentes n’a eu à transiger avec le ministre au sujet d’un dossier professionnel depuis cette activité ».

Dans ses remarques finales, Ariane Mignolet signale que même si « la preuve ne révèle pas de manquement déontologique, une mise en garde s’impose ici ».

Car « la connexité entre les responsabilités du ministre et les activités professionnelles de certaines personnes présentes peuvent contribuer à créer une apparence de conflit d’intérêts ».

« La frontière séparant les sphères personnelle et professionnelle est parfois mince, écrit-elle. Il suffit d’un dossier impliquant une amie ou un ami, une connaissance, voire une ou un membre de la famille pour que cette frontière soit franchie et qu’un contexte privé devienne alors un contexte professionnel. Il ne s’agit pas d’interdire au ministre de participer à des activités de nature privée, mais de l’inviter à faire preuve de vigilance en tout temps », explique-t-elle. Elle fait cette mise en garde notamment dans le contexte où Pierre Fitzgibbon a l’intention de retourner dans l’île où il se rend depuis plus de 20 ans, selon ses dires.

Pour la commissaire, les élus doivent faire preuve de « prudence lors d’activités auxquelles ils participent, surtout lorsqu’il y a connexité entre les domaines d’activité des personnes présentes et les responsabilités exercées. Même lorsque, de prime abord, l’activité semble s’inscrire dans un contexte privé, des personnes peuvent avoir, en raison de dossiers professionnels connexes aux responsabilités de la ou du parlementaire, des liens avec l’État nécessitant une vigilance accrue. Dès lors, des mesures de prévention de conflits d’intérêts, apparents ou réels, doivent être mises en place ».

Selon elle, « il en va du maintien de la confiance de la population envers les membres de l’Assemblée nationale et l’institution elle-même ». Elle offre son « entière collaboration » aux députés pour que ces mesures voient le jour.

C’était la sixième enquête de la commissaire sur Pierre Fitzgibbon. Ariane Mignolet a déjà conclu, en 2020 et en 2021, que le ministre avait enfreint le Code dans d’autres dossiers.