(Québec) Selon les chefs innus, François Legault fait fausse route en craignant que le traité Petapan, négocié entre Québec, Ottawa et trois communautés, se traduise par un « droit de veto » autochtone et la remise en question de l’indivisibilité du territoire québécois.

« En aucun temps, dans le texte [du traité] qui est conclu entre l’ensemble des parties […] on ne parle d’un droit de veto. En aucun temps, on ne parle d’une possibilité de division du territoire », a martelé mardi le chef innu, Gilbert Dominique. « C’est une des raisons [pour laquelle] nous souhaitions ardemment rencontrer M. Legault. Pour comprendre également, la perception qu’il a du texte du projet de traité », ajoute-t-il.

Les chefs des trois communautés innues du Regroupe Petapan (Mashteuiatsh au lac Saint-Jean, Essipit et Nutashkuan sur la Côte-Nord) ont fait le voyage jusqu’à l’Assemblée nationale mardi pour demander à Québec de « revenir à la table de négociation » pour la conclusion de leur Paix des braves moderne. Ils étaient accompagnés de députés du Parti libéral du Québec, de Québec solidaire et du Parti québécois.

Les Innus réagissaient aux propos du premier ministre qui a affirmé à la mi-mai qu’il craignait que le traité Petapan cède aux autochtones « un droit de veto » sur le développement de projets économiques. François Legault s’est aussi dit inquiet de la notion du droit inhérent à l’autodétermination, un enjeu qui n’est toujours pas réglé, et qui pourrait rendre divisible le territoire québécois, selon lui.

« Actuellement, les avocats du gouvernement qui sont là-dedans […] nous disent que ce qui est proposé comme traité pourrait donner un droit de veto et rendre le territoire divisible », a expliqué le premier ministre à la veille du congrès de la CAQ à Sherbrooke. Il a expliqué en ce sens qu’il voulait demeurer « prudent comme tous les gouvernements avant » lui, mais que l’intention est toujours de s’entendre avec les Innus.

D’ailleurs, une motion réitérant « l’importance de conclure une telle entente » avec les Innus et demandant au gouvernement Legault de « poursuivre les négociations accélérées afin de parvenir à un accord dans les plus brefs délais » a été adoptée mardi à l’unanimité. Les élus caquistes ont voté en faveur du texte présenté par le député libéral André A. Morin conjointement avec l’opposition.

En attente d’une contre-proposition

« D’avoir parlé d’une seule voix, je trouve ça extraordinaire », s’est réjoui M. Dominique en évoquant la motion. Ce dernier dit maintenant s’attendre à ce que le traité « soit réglé dans les plus brefs délais ». Les chefs autochtones attendent depuis le 31 mars la contre-proposition du gouvernement Legault et n’ont toujours aucune idée du nouvel échéancier des négociations.

M. Legault n’était pas présent lors du vote sur la motion. Son cabinet a précisé que le premier ministre quitte « toujours [le Salon bleu] une fois la période de questions terminée, sauf lorsqu’il présente des motions à titre de premier ministre ou qu’il y a des votes reportés ».

En l’absence de nouvelles, les chefs innus ont monté le ton d’un cran en mai dernier. La Presse rapportait que les trois communautés pourraient entreprendre des poursuites judiciaires contre les grandes entreprises qui exploitent les terres ancestrales si le « silence » du gouvernement Legault persiste. Rio Tinto et Produits forestiers Résolu ont notamment été informées que Mashteuiatsh suspendait les négociations.

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Mardi, les chefs innus donnaient encore une chance à la négociation. « J’ose espérer [que nous n’aurons pas à mettre] en œuvre de cette stratégie de dernière instance… […] parce que ce n’est pas ça qu’on souhaite. Mais, en même temps, après 40 ans, je pense, tout le monde va être d’accord qu’il est temps […] qu’on puisse convenir d’un traité qui a été discuté et négocié de façon honorable », a indiqué M. Dominique.

La partie du traité concernant Ottawa a été conclue récemment. C’est François Legault qui, en pleine campagne électorale, avait fixé l’échéance pour faire aboutir 40 ans de négociations au 31 mars.

Interrogé sur la lenteur des négociations par André A. Morin, le ministre responsable des relations avec les Premières Nations et les Inuits, Ian Lafrenière a rappelé qu’il veut « faire les choses comme il faut ».

« On ne peut pas nous reprocher aujourd’hui d’être ambitieux. On ne peut pas nous reprocher aujourd’hui de vouloir faire plus que ce qui a été fait dans le passé », a-t-il dit. « C’est un gouvernement qui est responsable, qui est organisé. Vous savez bien que la majorité des gens sont d’accord avec Petapan. Il y en a qui sont en désaccord. Il y a des communautés autochtones qui me demandent de ne pas signer Petapan. Alors, il faut écouter tout le monde. Il faut les rassurer », a-t-il ajouté.

Le traité Petapan prévoit une compensation financière pour « les dommages du passé » causés par l’exploitation du territoire ancestral, appelé le Nitassinan, ainsi qu’une formule de « participation réelle » pour les projets de développement économique actuels et futurs. Les Innus demandent au gouvernement Legault un bloc d’énergie de 500 mégawatts et l’obligation pour les entreprises forestières de s’entendre avec eux lors de l’exploitation de terres ancestrales.

Il est aussi prévu que soit versée une part des redevances perçues par Québec sur le Nitassinan d’un minimum de 3 %.