(Québec) Le gouvernement Legault change les règles du jeu en matière d’expropriation pour se mettre à l’abri de la spéculation et épargner des millions, a appris La Presse.

La Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), qui se réunit au Palais des congrès ce mardi, est exaucée par le fait même : elle réclame cette intervention de l’État depuis de nombreuses années, tout comme l’Union des municipalités du Québec (UMQ).

La ministre des Transports, Geneviève Guilbault, déposera cette semaine un projet de loi pour modifier la Loi sur l’expropriation, dont elle est la responsable. Cette loi adoptée en 1973 n’a pas subi de modifications importantes au cours des 40 dernières années.

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La ministre des Transports, Geneviève Guilbault, déposera cette semaine un projet de loi pour modifier la Loi sur l’expropriation, dont elle est la responsable.

Selon nos informations, le projet de loi fera en sorte que l’indemnité sera fixée sur la base de la valeur marchande du bien exproprié et non plus de la « valeur au propriétaire ».

À l’heure actuelle, le gouvernement et les municipalités doivent indemniser un propriétaire pour les revenus potentiels qu’il pourrait tirer de son terrain, ce qui fait grimper la facture.

L’intention du gouvernement est que l’indemnité soit juste et raisonnable, qu’elle n’ait pour effet ni d’appauvrir ni d’enrichir le propriétaire.

Différents scénarios étudiés

Québec a étudié différents scénarios au cours des dernières semaines pour mesurer la différence entre l’ancien et le nouveau régime d’expropriation. Il en coûterait environ 26 % de moins sous le nouveau régime pour exproprier un commerce selon le cas de figure examiné (2,1 millions au lieu de 2,9 millions). Pour un club de golf, ce serait une économie majeure de 43 % : 7,7 millions plutôt que 13,4 millions. Enfin, dans le cas d’un immeuble résidentiel étudié, l’expropriant paierait 355 600 $ au lieu de 383 900 $, une différence de 28 300 $.

L’État québécois est le plus important expropriant, par l’entremise du ministère des Transports, de la Société d’habitation du Québec ou encore d’Hydro-Québec, notamment.

Bon an mal an, le ministère des Transports fait des expropriations touchant 1000 propriétaires et locataires.

Le gouvernement a été particulièrement échaudé par le cas du prolongement de la ligne bleue du métro de Montréal. La facture estimée des expropriations a presque quadruplé, passant de 341 millions à 1,2 milliard de dollars. En vertu d’une décision du Tribunal administratif du Québec (TAQ), la Société de transport de Montréal a dû payer 115 millions de dollars pour acquérir un vieux centre commercial alors qu’elle avait prévu moins de 30 millions au départ.

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La facture liée à l’expropriation du centre commercial Le Boulevard a bondi : la STM a dû payer 115 millions de dollars pour l’acquérir alors qu’elle avait prévu moins de 30 millions.

Les municipalités font également des expropriations et se plaignent du cadre légal actuel.

L’article 58 de la Loi sur l’expropriation indique que « l’indemnité est fixée d’après la valeur du bien exproprié et du préjudice directement causé par l’expropriation ». Le Code civil prévoit de son côté qu’on « ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est par voie d’expropriation faite suivant la loi pour une cause d’utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité ».

« Au fil du temps, les tribunaux ont établi qu’il fallait indemniser le propriétaire en fonction de la valeur de l’immeuble pour le propriétaire, ce qui, comme son nom l’indique, a engendré le concept juridictionnel de ‟valeur au propriétaire” », explique l’UMQ dans un mémoire datant de 2021.

Selon elle, « cette approche engendre une grande part d’arbitraire dans le processus pour convenir du montant à verser à la personne expropriée ».

Elle a recommandé au gouvernement que « l’indemnité à verser à la partie expropriée se fonde sur le concept de valeur marchande de l’immeuble, en y incluant les indemnités accessoires, plutôt que sur le concept de valeur au propriétaire ».

« En faisant reposer son régime en matière d’expropriation sur le concept de valeur au propriétaire, le Québec fait figure d’exception, estime l’UMQ. En effet, les gouvernements du Canada, de l’Ontario et de la Colombie-Britannique (entre autres) évoluaient aussi dans ce contexte avant de préciser les facteurs pouvant être utilisés pour fixer l’indemnité juste à verser à la personne expropriée. »

Protection contre la spéculation

En 2019, la CMM a réclamé des changements aux règles d’expropriation afin de protéger davantage de milieux naturels. Elle a elle aussi demandé que l’indemnité ne soit plus fondée sur la valeur potentielle du terrain – s’il devait y avoir développement résidentiel, par exemple. On veut se protéger contre la spéculation.

La CMM cible en particulier six terrains de golf qu’elle veut transformer en parcs, en vertu de règlements de contrôle intérimaires (RCI) qui ont été adoptés l’an dernier et qui visent à les protéger. À Candiac, le Groupe Boda, consortium d’investisseurs chinois, a acheté à la fin de 2021 un terrain de golf pour 22 millions et poursuit maintenant la Ville pour 69,2 millions.

En vertu d’une décision du TAQ, la Ville de Carignan a déjà dû payer une indemnité 50 % plus élevée que prévu par son évaluateur (1,8 million au total) afin de faire l’acquisition d’un terrain pour construire une école.

Lors de la signature du pacte fiscal 2020-2024, le gouvernement Legault et les municipalités avaient convenu de se pencher sur des modifications à la Loi sur l’expropriation. Un comité a été créé à cette fin et a conclu ses travaux l’an dernier, mais aucun rapport n’a été rendu public.

Il y a un an, quelques mois avant le déclenchement des élections générales, le premier ministre François Legault s’est engagé à revoir la loi lors d’un congrès de l’UMQ.

Le projet de loi de Geneviève Guilbault allégera également le processus d’expropriation afin de réduire les délais. Des projets comme le Réseau express métropolitain et le tramway de Québec ont déjà bénéficié d’un tel assouplissement en vertu de projets de loi particuliers. Le gouvernement Legault a aussi assoupli les règles d’expropriation avec sa loi de 2020 visant à accélérer la réalisation de 180 projets d’infrastructures – des écoles, des maisons des aînés, des hôpitaux et la ligne bleue du métro, par exemple. Le projet de loi de cette semaine ira plus loin avec une révision globale de la Loi sur l’expropriation.