(Ottawa) Le gouvernement fédéral « n’adhère pas aux conclusions de l’Initiative du siècle » et ne se fixe pas comme cible de faire passer la population du Canada à 100 millions d’habitants d’ici 2100. Bien que tardive, la mise au point a été bien reçue par le gouvernement Legault, où l’on reste toutefois sur ses gardes.

Ce qu’il faut savoir

  • Le gouvernement Trudeau se dissocie de l’Initiative du siècle, dont l’objectif est de faire passer à 100 millions d’habitants la population du Canada d’ici 2100.
  • La clarification a été faite le jour où le Bloc québécois a déposé une motion demandant le rejet de cette proposition.
  • Le gouvernement Legault salue cette prise de position, mais continue à critiquer la cible annuelle d’accueil de 500 000 immigrants.

Sous pression, le ministre de l’Immigration, Sean Fraser, y est allé de cette clarification jeudi. « Permettez-moi d’être très clair : le plan pour l’Initiative du siècle n’est pas la politique de notre gouvernement », a-t-il lancé en réponse à une question du député bloquiste Alain Therrien.

Son bureau avait auparavant transmis une déclaration confirmant cette position, semblant vouloir couper l’herbe sous le pied du Bloc québécois : la formation a déposé une motion portant précisément sur cet enjeu qui a fait couler beaucoup d’encre tant à Ottawa qu’à Québec ces derniers jours.

L’attachée de presse du ministre, Bahoz Dara Aziz, y faisait valoir que le gouvernement Trudeau « n’adhérait pas aux conclusions de l’Initiative du siècle et n’avait pas pour objectif de porter la population du Canada à 100 millions de personnes d’ici 2100 ».

L’Initiative du siècle vise à faire passer la population du Canada à 100 millions d’habitants d’ici 2100.

Elle est portée par des experts « qui partagent la conviction que la prospérité nécessite une planification et qu’avec la bonne approche de la croissance, le Canada peut accroître sa force et sa résilience économiques au pays et son influence à l’étranger », lit-on sur le site web du groupe de réflexion.

Or, il ne devrait pas revenir à « quelques intellectuels dans une tour à Toronto » de déployer une stratégie qui vise à « casser les Québécois une fois pour toutes », s’est indigné le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet.

À moins, a-t-il raillé, qu’ils ne cherchent à raviver la flamme souverainiste.

La motion bloquiste propose que « la Chambre rejette les objectifs de la Century Initiative [en anglais dans le libellé, NDLR] » et demande au gouvernement Trudeau « de ne pas s’en inspirer pour développer ses seuils d’immigration à venir ».

Une « utopie » au lieu du « gros bon sens »

La motion, non contraignante, doit être mise aux voix lundi prochain. Les libéraux s’y opposeront, puisqu’ils « rejettent les prémisses de la motion, y compris le préambule qui affirme que [leurs] objectifs sont liés à l’Initiative », a-t-on noté dans le camp libéral.

Les néo-démocrates voteront non eux aussi.

Malheureusement, le Bloc et la CAQ ont l’air d’aimer ça, faire de la diversion et casser du sucre sur le dos des immigrants. Du côté du NPD, on pense que l’apport de l’immigration est une richesse.

Alexandre Boulerice, député néo-démocrate de Rosemont–La Petite-Patrie

La motion est ainsi vouée à l’échec.

Les conservateurs comptent toutefois l’appuyer, a signalé le chef Pierre Poilievre lors du débat en Chambre.

« Le premier ministre et ses amis corporatistes dans les multinationales, comme Dominic Barton, ont de grandes utopies qu’ils veulent créer pour nous au lieu de bâtir notre pays sur la base du gros bon sens qui a fonctionné pendant plus de 100 ans », a-t-il exposé.

« Il était temps » de se rendre à l’évidence

Sur l’autre colline, l’Initiative du siècle suscite de vives inquiétudes, puisqu’elle serait de nature à avoir un impact négatif sur le poids démographique du Québec au sein du Canada, ainsi que sur la pérennité de la langue française.

Le premier ministre François Legault avait manifesté ses préoccupations mercredi à l’Assemblée nationale. Jeudi, par l’entremise de son attaché de presse, Ewan Sauves, il a poussé un soupir de soulagement, bien que prudemment.

Il était temps que le gouvernement fédéral se rende à l’évidence. La cible proposée par l’Initiative du siècle était totalement incompatible avec l’urgence de protéger et inverser le déclin du français au Québec.

Ewan Sauves, attaché de presse de François Legault, par courriel

Cela dit, « la cible [fédérale] de 500 000 immigrants par année demeure, et celle-ci n’est pas plus adéquate selon nous », a-t-il ajouté, rappelant que Québec « décide lui-même du nombre d’immigrants permanents », et qu’il « n’a jamais été question pour notre gouvernement d’avoir une telle croissance de l’immigration ».

L’Initiative du siècle n’est pas une nouvelle proposition, mais elle est revenue dans l’actualité après que les médias de Québecor y eurent consacré leur une de samedi, et plusieurs pages. Le premier ministre Justin Trudeau y a fait référence à la période des questions en Chambre sur un ton moqueur, mercredi.

« Nous avons présenté nos seuils d’immigration au mois de novembre. Cela a pris la couverture de Pierre Karl Péladeau et de Québecor pour que le Bloc se réveille », a-t-il raillé en réponse à une question du chef bloquiste Yves-François Blanchet.

« Il est rarement prudent de s’en prendre à la rigueur, à l’indépendance ou à l’intégrité d’un appareil média. C’est rarement très démocrate, surtout lorsque le chef dudit appareil est Pierre Karl Péladeau », a plus tard répliqué le chef du Bloc québécois.

Avec La Presse Canadienne