(Ottawa) La santé et la sécurité des interprètes du Parlement doivent primer, affirme la ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, Helena Jaczek. Elle a réagi mardi au dossier publié par La Presse sur la hausse des accidents de travail chez ces employés depuis qu’une partie des travaux parlementaires se déroule en ligne.

« J’étais médecin avant de me lancer en politique et j’ai été choquée en entendant certains des incidents qui se sont produits, a-t-elle confié en entrevue. Je soutiens complètement le besoin d’avoir les bons casques d’écoute avec micro et toutes les précautions qui sont nécessaires pour éviter les chocs acoustiques ou toute autre blessure. »

Elle compte réitérer ce message au Bureau de la traduction, qui a été forcé d’agir à la suite d’une décision rendue en vertu du Code canadien du travail en février. Quelques mois plus tôt, une interprète pigiste avait dû être transportée à l’hôpital à la suite d’un choc acoustique qui a entraîné des symptômes s’apparentant à ceux d’une commotion cérébrale.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Justin Trudeau au côté de la ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, Helena Jaczek, le 4 avril

Le son de mauvaise qualité sur les plateformes numériques comme Zoom est montré du doigt par l’Association internationale des interprètes de conférence (AIIC), qui représente les pigistes, et par l’Association canadienne des employés professionnels (ACEP), qui représente les interprètes permanents.

La multiplication des travaux parlementaires à distance depuis le début de la pandémie cause toutes sortes de maux aux interprètes : acouphènes, nausées, migraines… Ceux-ci ont désormais pour consigne de refuser de travailler s’ils jugent que leurs conditions de travail nuisent à leur santé, ce qui a mené à l’interruption et même à l’annulation de réunions de comités parlementaires.

Mesures jugées insuffisantes

Or, l’AIIC estime que les mesures mises en place depuis la décision rendue par le Programme du travail ne sont pas suffisantes. Des casques d’écoute munis d’un micro, préalablement approuvés par le Bureau de la traduction, sont maintenant obligatoires pour les parlementaires et les témoins qui participent aux travaux de façon virtuelle.

Cette solution ne serait pas une panacée, puisqu’ils sont dotés d’une puce électronique pour compresser le son, ce qui causerait en partie les problèmes acoustiques des interprètes. Le Parlement européen a doté ses 705 députés de micros unidirectionnels sur pied pour remédier au problème.

L’ACEP attend avant de se prononcer. Le syndicat veut d’abord voir le résultat de tests qui doivent être effectués par le Conseil national de recherches du Canada sur les systèmes audiovisuels dans les salles de comité et les recommandations qui seront formulées dans le cadre d’une étude de l’Université d’Ottawa sur la santé auditive des interprètes.

Le Bureau de la traduction devrait tout de même réviser les mesures déjà mises en place, selon la ministre Jaczek.

J’encouragerais évidemment nos responsables à [réviser les mesures déjà en place]. Nous voulons avoir la meilleure protection qui est disponible.

Helena Jaczek, ministre des Services publics et de l’Approvisionnement

L’AIIC dénonce également un nouveau contrat de travail récemment présenté aux interprètes à la pige. Le Bureau de la traduction veut revenir aux heures de travail normales maintenant qu’une majorité d’élus sont de retour au Parlement en personne. Les heures avaient été réduites pour les travaux parlementaires virtuels sans que la rémunération des interprètes soit diminuée pour mieux protéger leur santé auditive. Le hic, c’est que les travaux parlementaires peuvent toujours se dérouler de façon hybride et les interprètes risquent donc d’être toujours exposés à du son potentiellement nocif. L’ACEP craint également que ses membres se retrouvent avec un plus grand nombre d’heures de travail.

La ministre a rappelé qu’aucune décision n’avait encore été prise. Donnera-t-elle une directive au Bureau de la traduction concernant les heures de travail ? « Ce n’est pas mon rôle, a-t-elle affirmé. Mon travail est de dire que je veux une protection absolue pour ces travailleurs, et ensuite, les responsables l’appliquent. »

Moins de virtuel

Pour le Bloc québécois, la solution pour protéger les interprètes est simple : la participation virtuelle aux travaux parlementaires devrait devenir l’exception et non la règle. « Il n’y en a pas de meilleur moyen que le retour en personne », affirme la whip du Bloc québécois, Claude DeBellefeuille. Le parti prône un ratio de 70 % du temps en personne et 30 % du temps à distance dans le cadre du Parlement hybride.

« C’est beaucoup du côté des libéraux, déplore-t-elle. Il faut que leurs députés comprennent qu’on porte notre casque ou qu’on revient siéger en personne et que tous les partis, y compris les députés du NPD qui restent en Colombie-Britannique, que tout le monde revienne en personne. »

« Pour nous, les interprètes font un travail absolument essentiel. Sans les interprètes, on n’aurait simplement pas de Parlement », a réagi le leader en chambre du Nouveau Parti démocratique (NPD), Peter Julian.

« On a fait des améliorations récemment pour des équipements qui sont haut de gamme et on exige aussi que ces équipements-là soient portés », a-t-il rappelé.

Le Parti conservateur n’a pas voulu commenter. Les responsables du Bureau de la traduction doivent faire une mise à jour jeudi sur les services d’interprétation au Bureau de la régie interne de la Chambre des communes.

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