Un nouveau contrat de travail récemment présenté aux interprètes à la pige qui œuvrent au Parlement est dénoncé par leurs représentants. L’Association internationale des interprètes de conférence (AIIC) estime que ces nouvelles conditions risquent de nuire encore davantage à leur santé auditive et d’aggraver la pénurie de personnel.

« On voudrait mettre dans ce contrat-là des conditions de travail potentiellement dangereuses pour les trois années à venir avant même que les recherches sur les effets d’un son de piètre qualité sur les interprètes aient donné des résultats concluants », dénonce en entrevue Nicole Gagnon, qui représente les membres de AIIC au Canada.

La multiplication des travaux parlementaires à distance depuis le début de la pandémie cause toutes sortes de maux aux interprètes : acouphène, nausée, migraine… Une interprète a même subi un choc acoustique causé par un fort retour de son dans ses écouteurs l’automne dernier.

Le son de mauvaise qualité sur les plateformes numériques comme Zoom est pointé du doigt autant par l’AIIC que par l’Association des employés professionnels (ACEP) qui représente les interprètes permanents. Le Bureau de la traduction emploie 67 interprètes permanents et 57 interprètes pigistes.

Durant la pandémie, le Bureau de la traduction avait notamment réduit les heures de travail des interprètes pour les travaux parlementaires virtuels sans diminuer leur rémunération pour mieux protéger leur santé auditive. Maintenant que la vaste majorité des élus sont de retour au Parlement en personne, il propose de revenir aux mêmes quarts de travail qu’avant même si les travaux parlementaires peuvent toujours se dérouler de façon hybride.

Ainsi, une équipe de trois interprètes pour six heures de travail ou une équipe de deux interprètes pour quatre heures de travail seraient requises pour les travaux en personne ou hybrides. Le seuil d’exposition maximum au son à distance par interprète serait de 2 h 30 chaque jour.

Les heures réduites, soit une équipe de trois interprètes pour quatre heures de travail et une équipe de deux interprètes pour trois heures de travail, seraient appliquées seulement dans les cas où tous les participants sont à distance.

« On estime que c’est irresponsable, d’une part, déplore Nicole Gagnon. En plus de ça, tout ce que ça va faire, étant donné la pénurie des interprètes qualifiés pour travailler au Parlement, ça va réduire la capacité du Bureau de la traduction à répondre à ses besoins en matière d’interprétation. »

Durant l’été 2022, l’AIIC avait sondé les interprètes indépendants accrédités par le gouvernement fédéral. Des 116 sollicités, 92 avaient répondu. Plus de la moitié d’entre eux (57 %), avaient indiqué accepter moins d’affectations sur la colline du Parlement en raison de la piètre qualité du son. Près de la moitié (46 %) avait également indiqué envisager de prendre leur retraite d’ici un à cinq ans.

L’ACEP, présentement en négociation pour le renouvellement de sa convention collective, craint également que ses membres se retrouvent avec un plus grand nombre d’heures de travail. « Ce que les interprètes veulent, c’est une réduction des heures d’interprétation dans les situations hybrides et aussi une réduction des heures d’exposition », indique l’un de ses vice-présidents, André Picotte, qui représente les traducteurs et les interprètes.

Le Bureau de la traduction fait valoir que le prochain contrat ouvert pour les interprètes pigistes fait toujours l’objet de consultations. « Il est trop tôt pour dire si des modifications seront apportées aux dispositions contractuelles », a répondu Michèle LaRose, responsable des relations avec les médias du ministère des Services publics et de l’Approvisionnement. Elle a également indiqué que le Bureau « tient compte des pratiques exemplaires en matière d’interprétation au Canada et à l’étranger, y compris en ce qui concerne la santé et la sécurité des interprètes. »

Or, c’est une décision rendue en février en vertu du Code canadien du travail qui l’a forcé à exiger que tous les parlementaires et les témoins en comité utilisent des microphones unidirectionnels et à effectuer des tests aléatoires en situation de travail. Il a mandaté le Conseil national de recherches du Canada pour le faire. Une étude sur la santé auditive des interprètes est également menée à l’Université d’Ottawa.

Dans une déclaration émise le 20 février dans la foulée de cette décision du Programme du travail, le Bureau de la traduction rappelle que les interprètes « ont la directive d’interrompre le service si les conditions de travail mettent leur santé en péril ».

Or, l’AIIC plaide pour que le Bureau de la traduction adopte une approche préventive en tout temps qui permettrait d’assurer la santé et la sécurité des interprètes. Les six modèles de casques d’écoute avec micro préconisés par le Bureau pour les participants virtuels ne seraient pas adéquats, selon l’AIIC. Ils contribueraient eux aussi au traitement numérique du son, le rendant nocif. L’Association note que l’Union européenne a plutôt adopté l’utilisation de micros sur pied pour tenter d’éliminer les problèmes acoustiques.

Le contrat de travail actuel des interprètes pigistes avec le gouvernement fédéral prend fin le 30 juin. L’AIIC s’attend à ce que l’appel d’offres avec les nouvelles conditions soit publié au cours des prochains mois, à temps pour la reprise des travaux parlementaires en septembre. Il reviendra ensuite à chaque pigiste d’envoyer une soumission ou de passer son tour.