(Ottawa) Le projet de loi C-11 modernisant la Loi sur la radiodiffusion pour y intégrer des plateformes comme YouTube et Spotify sera renvoyé au Sénat par les députés après un vote qui a eu lieu jeudi soir.

Le Bloc québécois et le Nouveau Parti démocratique (NPD) ont voté en faveur de la réponse que le gouvernement de Justin Trudeau souhaitait envoyer au Sénat concernant les amendements proposés par la Chambre haute en décembre.

Plus tôt ce mois-ci, les libéraux ont signalé qu’ils voulaient écarter plusieurs modifications, comme l’une visant à circonscrire quel type de contenu le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) pourrait réglementer ou non par pouvoir discrétionnaire.

Les sénateurs voulaient notamment répondre aux inquiétudes de créateurs de contenu qui craignent d’être limités ou brimés dans ce qu’ils peuvent partager. La Chambre haute souhaitait rassurer plusieurs témoins entendus durant l’examen du projet de loi en précisant que le pouvoir du CRTC, si exercé, ne pourrait cibler que du contenu professionnel et non pas du contenu amateur, par exemple.

« On a vu une façon de clarifier quelques phrases pour que les gens qui lisent le projet de loi soient rassurés. Ça compte, ça aussi », avait affirmé, il y a trois semaines, la sénatrice indépendante québécoise Julie Miville-Dechêne, qui avait élaboré un des amendements rejetés avec sa collègue albertaine Paula Simons.

Mme Miville-Dechêne avait souligné en entrevue qu’elle appuie la pièce législative et qu’elle ne croit pas que cette dernière aurait un effet de « censure » ou brimerait la liberté d’expression. À ses yeux, cela n’empêchait pas qu’il y avait lieu d’apporter des « clarifications » dans le texte législatif.

Les conservateurs, qui s’opposent vigoureusement au projet de loi C-11, n’hésitent pas à en faire une question de lutte pour la « liberté d’expression ».

Jeudi, ils ont bondi d’indignation puisque les libéraux ont précipité la tenue du vote sur la réponse à envoyer au Sénat.

Avec l’appui des néo-démocrates, les troupes de Justin Trudeau ont fait adopter une « motion de clôture » ayant pour effet d’écourter le débat sur la question.

« Aujourd’hui, le gouvernement a agi de façon sans précédent en agissant pour censurer le débat sur le projet de loi qui va censurer ce que les Canadiens peuvent dire et voir sur l’internet », a lancé le chef conservateur Pierre Poilievre durant la période des questions. Il a accusé les libéraux de prendre le roman dystopique 1984 de Georges Orwell pour « manuel d’instructions ».

Le leader parlementaire du gouvernement, Mark Holland, a répliqué que c’est précisément la liberté d’expression qui permet « à ce député d’aller partout au pays et de dire toutes sortes de bêtises ».

Le gouvernement maintient depuis des mois que les conservateurs versent dans la désinformation, martelant que C-11 ne vise qu’une meilleure « découvrabilité » des contenus canadiens sur des plateformes telles que YouTube, Spotify et Disney+.

« Les conservateurs ont lancé des théories conspirationnistes farfelues sur le plancher de la Chambre des communes pendant des heures et des heures », a renchéri le leader parlementaire du NPD, Peter Julian, durant le débat sur la motion de clôture.

Les bloquistes, qui pressent pour l’adoption de C-11 puisque le projet de loi est très attendu dans le milieu de la culture, ne sont pas allés jusqu’à appuyer les libéraux dans leur stratagème.

« Dommage qu’on en arrive encore à cette manœuvre de bâillon sur un projet de loi si important », a laissé tomber leur député Martin Champoux.

Il a néanmoins reproché aux conservateurs d’avoir fait obstruction « parce qu’ils étaient absolument inflexibles sur leur position ».

Il reste à voir comment le Sénat répliquera à la Chambre des communes. M. Holland avait écarté, au début du mois, la possibilité que les sénateurs tiennent tête aux députés.

« Je suis très confiant que le Sénat va accepter notre verdict », avait-il soutenu.

Le ministre du Patrimoine, Pablo Rodriguez, avait fait valoir que le gouvernement a trouvé « un bon compromis » en acceptant certains amendements, mais en rejetant « ceux qui pouvaient créer un passe-droit pour certains ».