(Ottawa) Le gouvernement ne sait pas si les 3,5 milliards de dollars versés annuellement dans le cadre de sa Politique d’aide internationale féministe donnent les résultats escomptés. Non seulement les indicateurs du ministère des Affaires mondiales ratent la cible, mais la documentation des projets est également mal gérée, selon le plus récent rapport de la vérificatrice générale.

Karen Hogan constate que 24 des 26 indicateurs élaborés par le ministère des Affaires mondiales pour juger des progrès « ne mesuraient pas les résultats ». Le Ministère est donc dans l’impossibilité « de bien rendre compte » de l’effet des projets financés.

Par exemple, il n’a pas mesuré l’assiduité scolaire des filles après la construction de toilettes pour pallier le manque d’installations sanitaires. Celles-ci s’absentent souvent de l’école pendant leurs menstruations parce qu’elles n’ont pas accès à des toilettes. Mme Hogan note qu’il s’agit pourtant d’« une des mesures décrites dans la politique pour assurer le suivi des réussites ».

Autre exemple, le Ministère fournit le nombre de personnes qui ont bénéficié d’un soutien nutritionnel dans certains pays, mais pas le résultat du programme qui se mesurerait plutôt par l’amélioration de la santé ou l’espérance de vie des bénéficiaires.

Savoir combien de repas [sont donnés] est un bon indicateur de progrès, mais pas un bon indicateur de la réalisation de l’objectif à long terme de cette politique qui est d’améliorer la vie des femmes et des filles.

Karen Hogan, vérificatrice générale du Canada

Mme Hogan constate aussi « des faiblesses importantes » dans la gestion des dossiers, problème récurrent déjà ciblé en 2021. Le Ministère n’a pas été en mesure de fournir l’ensemble de la documentation réclamée par la vérificatrice générale. Soit le personnel n’avait pas déposé systématiquement les données des projets, que la conservation et la mise à jour de l’information étaient déficientes ou qu’une partie des renseignements demandés étaient irrécupérables puisqu’ils étaient dans les ordinateurs d’employés qui avaient quitté leur poste depuis.

La vérificatrice générale a été en mesure d’obtenir la documentation complète concernant 50 des 60 projets exigés. Pour l’un d’entre eux, le Ministère n’a été en mesure de fournir aucun document.

« Aberrant » et « choquant »

« Le gouvernement ignore l’atteinte des objectifs de sa propre politique, mais pire encore, il ne se donne même pas les moyens de les atteindre », a dénoncé la députée du Bloc québécois Nathalie Sinclair-Desgagné. « C’est aberrant pour un pays qui se dit fier de son aide à l’international ! »

« Pour un gouvernement qui se dit féministe, c’est tout simplement choquant », s’est indignée à son tour la porte-parole néo-démocrate en matière de développement international, Heather McPherson. « Le NPD demande au gouvernement de cesser de faire semblant de défendre les droits des femmes et d’agir en tenant ses promesses envers elles et les droits de la personne à l’échelle mondiale. »

Le ministre du Développement international, Harjit Sajjan, a affirmé avoir pu constater en personne que certains des projets financés ont donné des résultats. « Ce sont nos partenaires qui ont l’information », a-t-il indiqué en ajoutant qu’elle doit être colligée et transmise aux hauts dirigeants du ministère.

« Le fait que le ministre pense que de passer quelques jours sur le site d’un projet supplante l’important travail d’analyse que le gouvernement est censé faire de manière objective est vraiment, vraiment inquiétant », a rétorqué le porte-parole conservateur en matière de développement international, Garnett Genuis.

La vérificatrice générale recommande à Affaires mondiales Canada d’améliorer sa façon de gérer l’information et de modifier ses indicateurs de rendement, ce que le Ministère s’engage à faire.

Aide à l’Afrique subsaharienne

L’audit a par ailleurs noté que le Canada n’avait pas atteint son objectif d’envoyer la moitié de l’aide bilatérale à l’Afrique subsaharienne, car « le ministère a réaffecté des fonds pour répondre aux besoins découlant de la pandémie […] et de l’invasion de l’Ukraine ». Le bureau de Mme Hogan a déclaré qu’il manquait d’informations spécifiques sur la somme d’argent qui avait été ainsi réaffectée.

Le ministre Sajjan a contesté l’analyse qu’a faite Mme Hogan de la réaffectation des fonds. Il affirme que les libéraux ont plutôt dépensé davantage pour l’aide au développement et que cela leur avait fait rater leur objectif concernant le pourcentage de dollars de développement vers l’Afrique.

La Politique d’aide internationale féministe a été adoptée en 2017 lors du premier mandat des libéraux de Justin Trudeau. Elle vise à promouvoir l’égalité des genres ainsi qu’à renforcer le pouvoir des femmes et des filles. La moitié des sommes sont destinées à des projets en Afrique subsaharienne. Le Canada est classé au premier rang des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques avec l’Islande pour le pourcentage d’aide internationale affecté à l’égalité des genres.

Avec La Presse Canadienne