(Ottawa) Éclaboussé par des allégations explosives selon lesquelles il aurait conseillé à un consul de Chine de retarder la libération de Michael Kovrig et Michael Spavor pour en faire bénéficier politiquement son parti, le député libéral Han Dong se retire du caucus.

L’élu a pris la parole tard mercredi soir devant une Chambre des communes aux banquettes clairsemées afin d’annoncer qu’il siégerait désormais comme député indépendant. Dans un discours qu’il a conclu en larmes, il a catégoriquement nié avoir suggéré à un haut fonctionnaire de repousser la libération des deux Michael.

« Comme parlementaire et comme personne, jamais je n’ai – et jamais je n’aurais – appuyé ou milité en faveur de la violation des droits fondamentaux de n’importe quel Canadien, ou de quiconque, où que ce soit, point », a-t-il déclaré.

« Je veux assurer à Michael Spavor et Michael Kovrig et leur famille que je n’ai rien fait pour leur causer du tort. Comme tous les députés de cette Chambre, j’ai travaillé fort pour défendre leurs intérêts », a aussi juré le député ontarien, assurant que les allégations le visant étaient « fausses ».

Si Han Dong a décidé de tirer sa révérence, c’est pour éviter d’être une distraction, a-t-il souligné : « Je vais continuer à servir mes commettants de Don Valley North à titre de député indépendant de cette Chambre […] pour faire en sorte que les affaires du gouvernement et du Parlement ne soient pas perturbées. »

Reportage de Global News

Quelques heures auparavant, sur la foi de deux sources confidentielles, le réseau Global News avait rapporté que l’élu aurait suggéré au consul général de Chine à Toronto que Pékin attende avant de laisser aller les deux Canadiens Michael Kovrig et Michael Spavor, qui étaient détenus arbitrairement en Chine. La Presse n’a pu confirmer cette information de manière indépendante.

Selon ce reportage, le député aurait indiqué en février 2021 au diplomate Han Tao que leur libération pourrait bénéficier au Parti conservateur du Canada, dont le leader à l’époque, Erin O’Toole, préconisait une approche plus musclée à l’endroit du régime de Xi Jinping.

Une porte-parole du premier ministre canadien, Alison Murphy, a signalé à Global News que l’existence de cet entretien leur était jusqu’à présent inconnue, et que Han Dong n’avait par ailleurs jamais joué le rôle de négociateur officieux (« back channel ») du gouvernement dans ce dossier.

« Allégations extrêmement graves »

« Bien que les autorités et la loi devront ultérieurement disposer des graves allégations dont le député Han Dong est l’objet, il y a en effet lieu qu’il ne siège plus au caucus libéral, et éventuellement même au Parlement », a réagi le chef bloquiste, Yves-François Blanchet, tard mercredi soir.

Le chef néo-démocrate, Jagmeet Singh, réclamait de Justin Trudeau qu’il chasse l’élu de son caucus.

« Ce sont des allégations extrêmement graves. Si c’est vrai, la sécurité des Canadiens a été mise en danger à des fins politiques. Le premier ministre Trudeau doit retirer Han Dong du caucus et ces allégations doivent faire l’objet d’une enquête approfondie », a-t-il écrit avant l’annonce du principal concerné.

« Ce sont des informations sérieuses de gestes qui menacent le fondement de notre démocratie canadienne. Il faut cesser les cachettes. Il faut cesser l’opération de camouflage », a pour sa part réagi le chef conservateur, Pierre Poilievre, sur Twitter.

« Si c’est vrai, ça frôle la trahison »

Les deux Michael avaient été arrêtés à Pékin en décembre 2018 quelques jours après l’arrestation au Canada, à la demande des États-Unis, de la directrice financière du géant chinois des télécommunications Huawei, Meng Wanzhou.

PHOTO ADRIAN WYLD, LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau

Le 24 septembre 2021, quelques jours après avoir été réélu, le premier ministre Justin Trudeau annonçait que les deux hommes rentraient au Canada, après plus de 1000 jours passés sous les verrous. Leur libération est survenue après que la Cour suprême de la Colombie-Britannique a accepté de relâcher Mme Meng.

« Si c’est vrai que Han Dong a dit ça, c’est quelqu’un de déshonorable, et puis on peut presque dire que ça commence à frôler la trahison », a lâché en entrevue Guy Saint-Jacques, qui a été ambassadeur du Canada en Chine de 2012 à 2016.

Les allégations s’accumulent

Ce n’est pas la première fois que les liens entre Han Dong et la Chine font la manchette. À la fin de février, Global News rapportait que le Parti communiste chinois avait manœuvré pour favoriser sa victoire dans la course à l’investiture libérale dans la circonscription de Don Valley North.

Le premier ministre Trudeau s’est porté à la défense de son député plus d’une fois.

Mais l’accumulation des allégations le visant commence à peser lourd, remarque Guy Saint-Jacques : « Il y a plusieurs questions qui se posent au sujet de Han Dong […]. Bientôt, il va falloir acheter un détecteur de mensonges et brancher pas mal de monde à Ottawa là-dessus. »

Les partis de l’opposition à Ottawa réclament à l’unisson le déclenchement d’une enquête publique et indépendante sur l’ingérence chinoise dans les élections de 2019 et de 2021. L’ancien gouverneur général David Johnston a été chargé de trancher à titre de rapporteur spécial de Justin Trudeau ; son verdict est attendu d’ici le 23 mai.

En savoir plus
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    En date du 15 février 2023, 69 pays et l’Union européenne ont approuvé la déclaration du Canada sur la détention arbitraire, une initiative d’Ottawa découlant de l’emprisonnement des deux Michael.
    SOURCE : AFFAIRES MONDIALES CANADA
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    Nombre de jours que Michael Kovrig et Michael Spavor ont passés derrière les barreaux en Chine avant d’être libérés, le 24 septembre 2021