(Ottawa) Après avoir résisté pendant des semaines, les libéraux jettent du lest : la cheffe de cabinet Katie Telford se présentera devant un comité qui se penche sur l’ingérence étrangère aux scrutins de 2019 et de 2021. Le bureau du premier ministre en a fait l’annonce au moment où il précisait les contours du mandat du rapporteur spécial sur l’ingérence, David Johnston, qui dira d’ici le 23 mai s’il faut une enquête publique.

« Bien qu’il y ait de sérieuses contraintes sur ce qui peut être dit en public sur les questions sensibles de renseignement, dans un effort pour faire fonctionner le Parlement, Mme Telford a accepté de se présenter devant le Comité de la procédure et des affaires de la Chambre dans le cadre de son étude », a signalé le bureau de Justin Trudeau dans un communiqué.

Les libéraux s’opposaient farouchement à la comparution de la collaboratrice du premier ministre. L’enjeu a fait l’objet d’un bras de fer au comité, où les libéraux ont perturbé les travaux durant plus de 20 heures en usant de tactiques dilatoires. La paralysie a pris fin mardi, les élus s’entendant sur une apparition de Katie Telford quelque part entre le 3 et le 14 avril.

À peu près au même moment où le rétropédalage était annoncé, le partenaire de danse du premier ministre, le chef néo-démocrate Jagmeet Singh, tapait du pied en conférence de presse : « Si le gouvernement libéral ne met pas fin à l’obstruction en comité, si Justin Trudeau ne permet pas à sa cheffe de cabinet de témoigner, nous le forcerons à le faire en votant en faveur de la motion de l’opposition. »

La motion visait à faire comparaître Mme Telford devant un autre comité de la Chambre, celui-là présidé par un conservateur et non par une libérale.

Le Parti libéral et le Nouveau Parti démocratique (NPD) ayant voté contre, la motion a été défaite (177 à 147), au grand dam des conservateurs, qui y avaient dressé une liste bien plus longue de témoins à convoquer.

Son dépôt avait donné lieu à des supputations sur le sort du gouvernement libéral minoritaire, dont la survie repose sur une « entente de soutien et de confiance » scellée avec le NPD, qui souffle d’ailleurs sa première bougie ce mercredi. À son arrivée au parlement, mardi matin, le premier ministre a coupé court aux rumeurs qui bruissaient sur la colline en statuant que le vote n’engagerait pas la confiance de la Chambre.

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Justin Trudeau

Les conservateurs avaient d’ailleurs consacré une bonne partie de la période des questions de lundi à mettre au défi les néo-démocrates de se rallier à la motion, les dépeignant encore comme des laquais des libéraux. Quant au Bloc québécois, il réclamait – et continue de le faire – la révocation du mandat confié à l’ex-gouverneur général David Johnston sur l’ingérence étrangère.

Un verdict le 23 mai au plus tard

Là-dessus aussi, le premier ministre a tranché, mardi, son bureau révélant les détails du mandat du rapporteur spécial indépendant qu’il a nommé il y a un peu plus d’une semaine – une nomination qui a suscité son lot de critiques en raison de la proximité entre les deux hommes.

L’ancien gouverneur général aura jusqu’au 23 mai pour recommander « la mise en place de tout éventuel mécanisme supplémentaire ou processus transparent qu’il juge nécessaire […], par exemple une enquête publique formelle », et le gouvernement Trudeau suivra ses recommandations, a-t-on réitéré mardi.

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David Johnston

Il « remettra des rapports périodiques au premier ministre, qui seront également communiqués aux chefs de l’opposition et à la population », et « il aura un accès complet à tous les dossiers et documents pertinents, qu’ils soient classifiés ou non », ajoute-t-on.

On s’attend à ce qu’il ait terminé son examen d’ici le 31 octobre 2023.

Une nomination décriée

La décision de Justin Trudeau de déléguer à David Johnston la décision de trancher suscite la désapprobation de tous les partis de l’opposition à Ottawa. À l’unisson, ils exigent la tenue d’une enquête publique sur cet enjeu. Chez les conservateurs et les bloquistes, on estime que les dés sont pipés.

Justin Trudeau a nommé un “ami de la famille”, vieux voisin de chalet et membre de la Fondation [Pierre Elliott] Trudeau financée par Pékin, rapporteur “indépendant” sur l’ingérence de Pékin.

Pierre Poilievre, chef du Parti conservateur

La Fondation Pierre Elliott Trudeau n’est pas financée par Pékin. L’organisme a cependant été plongé dans la controverse récemment, et a dû rembourser le don de 200 000 $ d’un milliardaire chinois après que le Globe and Mail eut publié que la contribution avait été faite contre promesse de remboursement de Pékin.

Au départ réticent à s’en prendre nommément à l’ex-gouverneur général ou à « ses états de service », le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, a durci le ton : sa désignation est « inadéquat[e] compte tenu de la proximité qu’il a avec la famille du premier ministre et la République populaire de Chine », a-t-il dit.

Le nom de David Johnston n’apparaît plus dans la liste des membres de la Fondation Pierre Elliott Trudeau.