(Ottawa) L’encre du communiqué annonçant la nomination de David Johnston à titre de rapporteur spécial indépendant sur l’ingérence étrangère était à peine sèche que déjà, les doutes sur l’impartialité de l’ex-gouverneur général du Canada se mettaient à pleuvoir, en particulier dans les cercles conservateurs.

Si les contours de son mandat n’ont pas encore été clairement définis, on sait qu’il consistera, entre autres, à déterminer si une enquête publique et indépendante sur l’ingérence étrangère dans les élections de 2019 et de 2021 s’impose ou non.

En dévoilant l’identité de la personne sur laquelle il a jeté son dévolu, mercredi, le premier ministre n’a pas tari d’éloges à son endroit : « une intégrité impeccable, une riche expérience et de grandes compétences », a-t-il vanté par voie de communiqué.

« Je suis convaincu qu’il mènera un examen impartial pour s’assurer que toutes les mesures nécessaires sont prises afin de préserver notre démocratie ainsi que de maintenir et renforcer la confiance à son égard », a dit aussi Justin Trudeau.

Après les fleurs, les pots, sur les réseaux sociaux : des images de David Johnston en compagnie du président chinois Xi Jinping lors de visites officielles effectuées en Chine à titre de gouverneur général du Canada, en 2013 et en 2017, ont rapidement refait surface.

PHOTO TIRÉE DU SITE INTERNET DU MINISTÈRE CHINOIS DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Le président chinois Xi Jinping en compagnie de David Johnston lors d’une visite de ce dernier en Chine en 2013

Le fait que l’ancien représentant de la reine au Canada soit un membre de la Fondation Pierre Elliott Trudeau n’est pas non plus passé inaperçu, d’autant que la Fondation s’est retrouvée sur la sellette il y a un peu plus de deux semaines.

L’organisme a remboursé le don de 200 000 $ d’un milliardaire chinois après que le Globe and Mail a publié qu’il avait été fait contre promesse de remboursement de Pékin. L’histoire a miné la crédibilité d’un rapport sur l’ingérence préparé par Morris Rosenberg, qui était directeur général de la Fondation au moment du don.

À titre de rapporteur, il n’est pas impossible d’imaginer que David Johnston doive se pencher sur cette affaire.

Le gouvernement promet de suivre les recommandations

C’est la deuxième fois que les libéraux retiennent les services de celui qui a été locataire de Rideau Hall de 2010 à 2017 : en ce moment, il est commissaire aux débats des chefs, mais il quittera ce poste pour occuper celui de rapporteur spécial et indépendant.

Son mandat consistera à examiner « les conséquences de l’ingérence étrangère dans les deux dernières élections générales fédérales » et à « formuler des recommandations spécialisées sur la manière de mieux protéger notre démocratie », explique-t-on dans le communiqué gouvernemental publié mercredi.

Et à l’issue de cet exercice, le gouvernement respectera les recommandations de l’ancien gouverneur général, lesquelles pourraient inclure « une enquête officielle, une révision judiciaire ou un autre processus d’examen indépendant, et les mettra en œuvre », indique-t-on.

La désignation de David Johnston découle de consultations menées auprès de tous les partis à la Chambre des communes, selon le communiqué gouvernemental. Le Bloc québécois et le Nouveau Parti démocratique (NPD) avaient toutefois signalé mardi qu’ils refusaient de prendre part au processus.

Long bras de fer en comité

Si la question de la nomination du rapporteur est dorénavant réglée – bien que le débat sur la personne choisie ne fasse visiblement que commencer –, c’est loin d’être le cas de celle entourant la requête de comparution de Katie Telford, la cheffe de cabinet de Justin Trudeau.

Les libéraux qui siègent au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, qui se penche sur les allégations d’ingérence de la Chine dans le processus démocratique, continuent d’en perturber les travaux.

Cela fait maintenant plus de 20 heures (non consécutives) qu’ils usent de tactiques dilatoires pour empêcher la comparution de Katie Telford, cheffe de cabinet de Justin Trudeau, à la table du comité. Les manœuvres libérales alimentent les soupçons d’une opération de camouflage.

Pour plaider leur cause, ils ont déterré une vidéo de 2010 où Pierre Poilievre dit que le personnel politique ne devrait pas être convoqué en comité en raison du principe de la responsabilité ministérielle. Il défendait alors le refus d’envoyer comparaître Dimitri Soudas, ex-directeur des communications de Stephen Harper.

Pour précision, Katie Telford a comparu au moins deux fois en comité, pour répondre à des questions sur l’affaire WE Charity et sur l’inconduite sexuelle au sein des Forces armées canadiennes. Idem pour Gerald Butts, ancien secrétaire du premier ministre, qui s’est prêté à l’exercice au moment de l’affaire SNC-Lavalin.