(Ottawa) La tempête politique provoquée par les révélations entourant l’ingérence étrangère durant les élections fédérales de 2019 et 2021 est loin de s’estomper, malgré l’annonce d’un trio de mesures faite par Justin Trudeau pour faire la lumière sur cette affaire.

Le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, a taillé en pièces mardi les propositions faites par le premier ministre, estimant qu’elles visaient d’abord et avant tout à camoufler la vérité. Et son vis-à-vis bloquiste, Yves-François Blanchet, n’a pas été plus tendre, s’inquiétant au passage de l’image que renvoie cette crise aux partenaires du Canada dans le monde. Cette affaire a de nouveau dominé la période des questions à la Chambre des communes.

Tentant de calmer les critiques des partis de l’opposition et de rassurer les Canadiens, Justin Trudeau a annoncé lundi soir la création d’un poste de rapporteur spécial sur l’ingérence étrangère, l’ouverture d’une enquête – à huis clos – et le lancement de consultations sur la création d’un registre d’agents étrangers.

Mais il n’est pas encore question, à tout le moins pour l’instant, de lancer l’enquête publique, malgré les demandes insistantes des partis de l’opposition.

En point de presse dans le foyer de la Chambre des communes, M. Poilievre a insisté pour dire que seule une enquête publique et indépendante pourra fournir aux Canadiens les réponses aux nombreuses questions qu’ils se posent au sujet du rôle joué par la Chine durant les deux derniers scrutins.

« Justin Trudeau fait exactement le contraire. Il veut un processus qui est secret et contrôlé. Il veut que ce soit secret […] parce qu’il ne veut pas que les Canadiens connaissent la vérité. Il sait que ça va l’impliquer dans le scandale de l’ingérence du gouvernement autoritaire de Pékin », a soutenu le chef conservateur.

Il a fait valoir que la seule enquête que souhaite le premier ministre, c’est celle menée par les services de sécurité pour déterminer qui a divulgué les informations contenues dans des documents secrets au cours des dernières semaines au quotidien The Globe and Mail.

La seule enquête qu’il veut, c’est celle qui cible les dénonciateurs. C’est ça, la priorité de Justin Trudeau. Ce n’est pas de protéger notre démocratie de l’ingérence étrangère. C’est de se protéger politiquement en ciblant et en détruisant les dénonciateurs courageux qui ont publié ces secrets.

Pierre Poilievre, chef du Parti conservateur du Canada

Il a ajouté que son parti maintiendra la pression sur le premier ministre dans ce dossier tant et aussi longtemps qu’il ne mettra pas sur pied une enquête publique indépendante.

« Dommage potentiel » à l’image du Canada

Au moment où Justin Trudeau recevait à Kingston la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, s’inquiétait des conséquences de la crise sur l’image du Canada auprès de ses alliés occidentaux.

PHOTO PATRICK DOYLE, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet

« Quel est le message que le gouvernement canadien, que le premier ministre, donne à nos alliés, à l’Europe, à l’OTAN, aux États-Unis, en étant faible et complaisant face à l’intrusion et à l’ingérence hostile d’une dictature étrangère dans la démocratie d’un pays membre de l’OTAN et du G7 ? », a-t-il exposé, mardi.

« Il y a un dommage potentiel à la confiance et à la qualité de la relation que le Canada a avec ses alliés », a ajouté le dirigeant en point de presse au parlement, ajoutant que le premier ministre devait démontrer la « fermeté et la robustesse de sa colonne vertébrale » dans un contexte international tendu.

D’autant plus qu’« à l’heure actuelle, le gouvernement chinois se tape sur les cuisses en regardant ce qui se passe au Canada », constatant la réussite de son opération, a laissé tomber M. Blanchet, se moquant abondamment de la créature imaginée par le premier ministre, ce « rapporteur spécial indépendant ».

Pour sa part, le chef du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh, a indiqué que la nomination d’un rapporteur était un petit pas dans la bonne direction, mais il a continué de réclamer la tenue d’une enquête publique.

Lundi, M. Trudeau a indiqué qu’il comptait sur un « éminent Canadien » pour le conseiller sur la pertinence de tenir, ou pas, une telle enquête publique sur l’ingérence étrangère durant les deux dernières élections fédérales, en 2019 et en 2021.

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau

M. Trudeau a répondu aux critiques des partis de l’opposition mardi, à Kingston, en indiquant qu’il était prêt à les consulter avant d’arrêter son choix sur le rapporteur spécial indépendant.

« On a choisi d’utiliser les outils qu’on a depuis plusieurs années, mais aussi de nommer un rapporteur spécial indépendant qui va chapeauter ce travail. Il va s’assurer que tout est en train d’être fait de la bonne façon et surtout de rassurer les Canadiens. […] Nous allons nous assurer que la personne choisie [va] donner confiance aux Canadiens que ça va être fait de façon indépendante et rigoureuse », a-t-il dit.

Lundi, le premier ministre a aussi demandé à l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement ainsi qu’au Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, dont il nomme les membres, le mandat d’étudier l’enjeu. Les membres de ces deux groupes se réunissent à huis clos.