À compter de mardi, l’application du réseau social TikTok, développée en Chine, sera supprimée des appareils mobiles du gouvernement du Canada, a annoncé lundi la présidente du Conseil du Trésor, Mona Fortier. La décision, rapidement copiée à Québec, en soirée, met sur ses gardes le monde des affaires qui surveille la suite des choses.

« À la suite d’un examen de TikTok, la dirigeante principale de l’information du Canada a déterminé que cette application présentait un niveau de risque inacceptable pour la vie privée et la sécurité », a déclaré la ministre Fortier par voie de communiqué, lundi.

Il sera également interdit aux utilisateurs de ces appareils de télécharger l’application du réseau social chinois à l’avenir, a-t-elle ajouté, évoquant une décision prise « à titre préventif » par le gouvernement canadien, qui emboîte le pas à certains alliés internationaux en décrétant ce boycottage.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Mona Fortier, présidente du Conseil du Trésor

L’inquiétude des gouvernements occidentaux vis-à-vis de TikTok réside principalement dans le fait que les très nombreuses informations collectées par la plateforme – localisation, carnet de contacts, historique de paiements, etc. – pourraient être accessibles à Pékin, rappelle le professeur au département d’informatique du Collège Vanier Samad Rostanpour.

La société propriétaire de TikTok, le géant ByteDance, est en effet établie en Chine, où les lois en vigueur obligent toute entreprise privée à partager avec le gouvernement chinois les données qu’il réclame, souligne l’expert. En septembre dernier, une haute responsable de TikTok a assuré lors d’une audition au Sénat américain que l’entreprise ne stockait pas de données américaines en Chine, ce qui n’a pas nécessairement calmé les craintes de bon nombre de personnes.

Québec suit

Après Ottawa, la décision de Québec n’a pas tardé : en soirée, le ministre de la Cybersécurité et du Numérique, Éric Caire, a annoncé qu’il emboîtera le pas à Ottawa en interdisant l’utilisation du populaire réseau social TikTok sur les appareils mobiles de ses fonctionnaires.

« Il s’agit d’une interdiction de nature préventive », a fait valoir son cabinet, par voie de communiqué.

« Rappelons qu’à ce jour, aucune preuve ne démontre qu’un pays étranger espionnerait les employés de l’État au moyen de cette application, ni même que des données privées ou gouvernementales auraient été subtilisées par des intérêts étrangers », ajoute-t-on.

PHOTO YAN DOUBLET, ARCHIVES LE SOLEIL

Éric Caire, ministre de la Cybersécurité et du Numérique

Début janvier, le président américain, Joe Biden, a également ratifié une loi interdisant la populaire plateforme de partage de vidéos sur les appareils des fonctionnaires, mais aussi sur ceux des élus de la Chambre des représentants et du Sénat. Lundi, l’administration Biden a renchéri en ordonnant à toutes les agences fédérales de bannir TikTok de leurs appareils d’ici 30 jours.

La Commission européenne a aussi interdit jeudi dernier l’installation de l’application TikTok sur tous les appareils professionnels de son personnel afin de protéger les données de l’institution, et ce, au plus tard le 15 mars prochain.

Un choix « personnel », mais non sans danger

Joint lundi soir, le président et chef de la direction du Conseil du patronat du Québec, Karl Blackburn, a dit suivre la situation de près.

« Ce qui est en train de se passer évolue à vitesse grand V. On offre notre collaboration pour faire le pont entre le gouvernement et les entreprises, si jamais l’évolution de la situation l’exigeait », s’est-il limité à dire.

Sans aller jusqu’à recommander aux utilisateurs canadiens de supprimer eux aussi l’application, parlant d’un « choix personnel », la ministre Fortier souligne que « sur un appareil mobile, les méthodes de collecte de données de TikTok donnent un accès considérable au contenu du téléphone ».

Le premier ministre Justin Trudeau a fait écho à ces propos en marge d’une annonce dans la grande région de Toronto, lundi après-midi, plaidant que les Canadiens devraient être libres de « faire leurs propres choix », et que cette « première étape significative » les inciterait possiblement à « réfléchir à leur propre sécurité ».

TikTok réagit

TikTok a également réagi en affirmant qu’il était « curieux » de voir Ottawa bloquer son application « sans citer de problème de sécurité précis, sans nous contacter pour poser des questions, et peu après l’introduction d’interdictions semblables par l’Union européenne et les États-Unis ».

« Cibler TikTok de cette manière ne permet pas d’atteindre cet objectif [de protéger la vie privée et la sécurité des Canadiens], que nous partageons. Cette mesure ne fait qu’empêcher les fonctionnaires de rejoindre le public sur une plateforme appréciée par des millions de Canadiens », a indiqué un porte-parole de TikTok.

Le Parti conservateur suivra la directive

À Ottawa, la politique décrétée par le bureau de la ministre Fortier, qui chapeaute la fonction publique fédérale, ne s’applique pas aux élus et au personnel politique.

Il reviendra au président de la Chambre des communes, Anthony Rota, de se prononcer. « L’Administration de la Chambre revoit sa politique », a-t-on déclaré au bureau de la présidence, lundi.

Le Parti conservateur a cependant d’ores et déjà fait son nid.

« Nous travaillerons pour que cette interdiction soit étendue aux appareils parlementaires. Le chef et tous les membres du caucus conservateur suspendront leurs comptes TikTok et travailleront avec tous les partis pour assurer la protection de notre Parlement », a affirmé Sebastian Skamski, directeur des relations médias.

Les trois autres partis attendent l’éclairage de l’Administration de la Chambre des communes avant de bouger, y compris le Nouveau Parti démocratique, où le chef Jagmeet Singh est fervent de cette application – il y a plus de 878 000 abonnés.

Enquête sur la vie privée

La semaine dernière, une enquête fédérale-provinciale a été ouverte sur l’application afin d’établir « si les pratiques de l’organisation sont conformes aux lois canadiennes sur la protection des renseignements personnels et, plus précisément, si TikTok a obtenu un consentement valable pour la collecte ».

L’investigation sera menée conjointement par le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada et son pendant au Québec, en Colombie-Britannique et en Alberta.

Elle mettra l’accent sur la protection des jeunes utilisateurs, y compris afin d’« établir si l’entreprise a obtenu un consentement valable de la part de ceux-ci pour la collecte, l’utilisation et la communication de leurs renseignements personnels », ont signalé les quatre organisations.

– Avec l’Agence France-Presse

Mon enfant devrait-il continuer d’utiliser TikTok ?

Contrairement aux fonctionnaires, pour qui les craintes liées à l’utilisation de TikTok relèvent surtout d’une possible ingérence étrangère de la Chine, l’enjeu lié à l’usage de l’application par votre enfant en est surtout un de « vie privée », explique le professeur au département d’informatique du Collège Vanier Samad Rostanpour. « Une fois qu’on a publié quelque chose sur TikTok, on n’y a plus accès. Les enfants sont vulnérables et donc certaines personnes mal intentionnées pourraient s’en servir contre eux », explique-t-il.

2016

ByteDance a lancé TikTok en 2016 après le succès de sa première application, créée en 2012, Jinri Toutiao (« À la une aujourd’hui »), un agrégateur d’informations.

Quelques politiciens et partis d’ici sur TikTok

  • Jagmeet Singh (878 800 abonnés)
  • François Legault (111 900 abonnés)
  • Québec solidaire (85 500 abonnés)
  • Nouveau Parti démocratique (35 100 abonnés)
  • Parti québécois (4250 abonnés)
  • Bloc québécois (2012 abonnés)
  • Jean-François Roberge (1544 abonnés)
En savoir plus
  • 26 %
    Pourcentage des adultes canadiens possédant un compte TikTok, en septembre 2022
    SOURCE : TORONTO METROPOLITAN UNIVERSITY
    1 milliard
    Nombre d’abonnés qui utilisent l’application TikTok au moins une fois par mois, en septembre 2021
    SOURCE : Tiktok