(Québec) Le premier ministre François Legault a dit comprendre vendredi « la frustration et la colère » des Terre-Neuviens concernant le contrat d’approvisionnement en électricité de Churchill Falls.

Contrit, il s’est dit ouvert à discuter de nouveaux projets de barrage avec son homologue Andrew Furey, au terme d’une visite officielle de deux jours à St. John’s, en vue de renouveler cette entente.

28 milliards

Le contrat sur ce barrage situé au Labrador aurait rapporté plus de 28 milliards au Québec depuis sa signature en 1969, comparativement à seulement 2 milliards à Terre-Neuve-et-Labrador (T.-N.-L.). Et la prochaine ronde devra inclure les Innus, ont précisé les deux partenaires.

M. Legault a prononcé un acte de contrition adressé aux Terre-Neuviens, ce qui n’avait jamais été fait par un premier ministre du Québec auparavant.

Cela s’ajoute à sa volonté exprimée cette semaine d’offrir une indemnisation financière à la province voisine avant la fin de l’entente en 2041, afin de l’inciter à la renouveler.

« Réécrire l’Histoire »

« On ne peut pas réécrire l’Histoire, mais on peut essayer, pour l’avenir, de trouver des façons de travailler ensemble au bénéfice des deux », a-t-il déclaré vendredi matin en conférence de presse à St. John’s au côté de M. Furey, au terme d’une rencontre qualifiée de « productive ».

« C’est un bon signe, c’est symbolique que le premier ministre québécois se soit rendu ici », a pour sa part commenté M. Furey, rappelant que ce contrat est humiliant pour ses concitoyens.

« Cela montre qu’il a une compréhension de l’impact pour nous. »

Compte à rebours

PHOTO ANDREW VAUGHAN, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le chantier de la centrale de Muskrat Falls, au Labrador, en 2015, deux ans après le début des travaux. Si la première turbine est entrée en fonction en 2020, l’ensemble de la structure n’est toujours pas achevé.

Même si le contrat se termine dans 18 ans, le compte à rebours est déjà enclenché, bien que M. Legault ait laissé entendre qu’il n’a pas été question d’échéancier.

« Pour l’instant, il est question de pourparlers de haut niveau sur l’art du possible », a qualifié M. Furey, en refusant d’ouvrir son jeu sur ses demandes.

« J’aimerais dire quelques mots aux citoyens de votre province, a déclaré M. Legault en anglais. Je comprends tout à fait la frustration et la colère que vous éprouvez concernant le contrat de Churchill Falls. »

M. Legault a reconnu que c’était devenu « vraiment un mauvais contrat » pour les Terre-Neuviens « avec le temps ».

Il leur a tendu un rameau d’olivier… et une bouée de sauvetage. Il a dit qu’il était « prêt à regarder d’autres projets », sans préciser lesquels. Or, on sait que Terre-Neuve éprouve de sérieuses difficultés financières dans le projet de barrage de Muskrat Falls, aussi au Labrador : sa facture s’élève maintenant à plus de 13 milliards. Le Québec pourrait ainsi potentiellement venir à la rescousse.

Innus

Pour ajouter à la complexité, les deux partenaires entendent discuter avec les Innus. Ceux de Uashat mak Mani-utenam ont déposé une poursuite de 2,2 milliards contre Hydro concernant Churchill Falls, et ceux du Labrador réclament pour leur part 4 milliards.

« C’est important d’avoir des discussions avec les peuples innus », a admis le chef du gouvernement québécois.

Tarif fixe

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Un des 11 groupes turbine-alternateur de la centrale hydroélectrique de Churchill Falls au Labrador, pendant des travaux de réparation en novembre 2011

Hydro-Québec paie un tarif fixe pour l’électricité produite par Churchill Falls, soit 0,2 cent du kilowattheure, mais l’a revendue en moyenne à 8,2 cents du kilowattheure en 2022, a précisé la société d’État cette semaine.

Selon les données d’une étude d’un comité terre-neuvien, en 2019, l’entente avait rapporté en bénéfices près de 28 milliards au Québec, comparativement à seulement 2 milliards à Terre-Neuve-et-Labrador. Le comité recommandait à T.-N.-L. de renouveler le contrat.

L’entente permet à Hydro-Québec d’acheter 85 % de l’électricité produite à Churchill Falls et donc de récolter l’essentiel des profits. Le bloc restant de 15 % sert à alimenter les clients du réseau terre-neuvien au Labrador, ou est vendu sur les marchés d’exportation.

Au fil des ans, plusieurs jugements de tribunaux ont confirmé la validité de cette entente commerciale.

Condamnés à s’entendre ?

Churchill Falls constitue une pièce maîtresse de la stratégie énergétique du Québec et génère le tiers des bénéfices d’Hydro-Québec.

Les surplus d’électricité de la société d’État fondent actuellement à vue d’œil et le gouvernement doit savoir rapidement s’il devra construire un nouvel ouvrage, puisqu’il faut 12 à 15 ans pour en ériger un. En outre, Québec songe déjà à construire quatre ou cinq nouveaux barrages afin de générer les 100 térawattheures nécessaires à la décarbonation de l’économie d’ici à 2050.

De son côté, Terre-Neuve-et-Labrador a besoin des lignes de haute tension de son partenaire québécois si elle veut exporter son énergie, même si M. Furey dit être en « position de force ». En outre, la province s’enfonce dans un désastre financier avec son projet de barrage hydroélectrique de Muskrat Falls et l’ajout d’un éventuel partenaire pourrait lui être d’un grand secours.

Churchill Falls représente 15 % de la capacité de 210 térawattheures d’Hydro-Québec. La centrale dispose d’une puissance installée de 5428 mégawatts.