(Ottawa) Les peines avec sursis devraient être interdites dans la majorité des cas d’agression sexuelle, selon le député Rhéal Fortin. Il compte déposer un projet de loi au cours des prochaines semaines afin de revenir aux peines minimales pour ces crimes et ceux commis avec des armes à feu.

« Il n’y aurait plus de peine avec sursis pour agression sexuelle et il y aurait des peines minimales pour les crimes avec arme à feu, mais dans les deux cas, un juge pourrait y déroger dans des circonstances exceptionnelles et si la peine constituait une peine injuste », explique-t-il en entrevue.

Son initiative fait suite à la motion adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale mercredi pour condamner les dispositions controversées de la loi C-5. Le texte adopté accuse Ottawa d’infliger « un recul en matière de lutte contre les violences sexuelles ». Il avait été déposé par le ministre de la Justice du Québec, Simon Jolin-Barrette.

L’impact de cette loi fédérale, adoptée en novembre, suscite de nombreuses critiques. Des hommes condamnés pour agression sexuelle en profitent pour tenter d’obtenir des peines de prison à domicile. La Presse rapportait mardi le cas de Sobhi Akra, 39 ans, qui souhaite purger sa peine de prison chez lui après avoir plaidé coupable d’avoir agressé sexuellement huit femmes entre octobre 2017 et novembre 2018 en empoignant leurs seins ou leurs parties génitales.

Le juge a demandé à la procureure de la Couronne et à l’avocat de la défense de se prononcer sur la loi C-5. L’avocat de M. Akra a plaidé qu’il s’agit d’une « mesure qui encourage la reprise en main ». La Couronne exige plutôt 22 mois de détention.

À la fin du mois de janvier, Jonathan Gravel, 42 ans, avait évité la prison ferme au palais de justice de Montréal pour une violente agression sexuelle commise en 2014. Le procureur de la Couronne, Alexis Dinelle, avait alors fustigé le gouvernement Trudeau pour avoir rouvert la porte aux peines avec sursis pour ce type de crime, abolies par les conservateurs en 2007.

« Je pense que tout le monde comprend que ça prend des peines minimales, a affirmé Rhéal Fortin. Je pense que la motion unanime de l’Assemblée nationale fait aussi réaliser que les peines avec sursis dans les cas d’agression sexuelle, c’est parfois inacceptable. Donc, il faut qu’on corrige le tir. Il faut au moins essayer. C’est notre job de parlementaires. »

Le député de Rivière-du-Nord avait déjà proposé un amendement lors de l’étude du projet pour conserver les peines minimales tout en donnant la latitude aux juges d’y déroger exceptionnellement avec justification. Il avait été rejeté et le Bloc québécois avait fini par voter pour l’adoption de C-5 puisque le projet de loi prévoyait également la déjudiciarisation dans le cas d’infractions de possession simple de drogues.

Le député Pierre Paul-Hus n’a pas manqué de le souligner lors de la période des questions jeudi. « Nous en sommes rendus là à cause de la complicité du Bloc québécois », a-t-il dénoncé avant de demander au gouvernement s’il allait « protéger les femmes au lieu d’aider les criminels » en modifiant C-5.

Le ministre fédéral de la Justice, David Lametti, s’est abstenu de commenter le cas particulier de Sobhi Akra puisqu’il est toujours devant les tribunaux. « Ce que je peux dire aux Canadiens, c’est que le projet de loi C-5 avait comme but de lutter contre le racisme systémique et contre les personnes autochtones et noires en ajoutant un apport dans un système qui n’a pas fonctionné avec les conservateurs », a-t-il répondu.

Rhéal Fortin compte retourner à la table à dessin et revenir avec un projet de loi qui, à son avis, pourrait satisfaire à la fois les libéraux et les conservateurs, d’autant plus que le contexte a changé. Le Nouveau Parti démocratique préfère s’en remettre à la discrétion des juges et les laisser choisir entre la détention ou la peine avec sursis.