(Ottawa et Québec) La nouvelle représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie s’est excusée d’avoir offensé les Québécois à la sortie de sa rencontre avec le chef bloquiste, Yves-François Blanchet. C’est insuffisant, a répliqué le gouvernement Legault, qui réclame toujours sa démission.

Amira Elghawaby est au cœur d’une controverse depuis sa nomination jeudi dernier, notamment pour avoir déjà écrit dans une chronique que la « majorité des Québécois » semblaient « influencés par un sentiment antimusulman ». Le décret confirmant sa nomination indique qu’elle recevra un salaire compris entre 162 700 $ et 191 300 $ et qu’elle doit entrer en poste le 20 février.

« Je suis convaincue, je sais et je le dis que les gens québécois ne sont pas racistes, a-t-elle déclaré en français à sa sortie de la rencontre. Ce n’était pas mon intention et, pour les blessures que j’ai faites avec mes mots, je m’excuse sincèrement. »

Elle a affirmé que sa conversation de 45 minutes avec le chef du Bloc québécois avait été « vraiment constructive » et estime toujours être la bonne personne pour occuper le rôle de représentante spéciale chargée de la lutte contre l’islamophobie, malgré les appels à sa démission. Sa position contre la Loi sur la laïcité de l’État (« loi 21 ») n’a pas changé, mais elle a indiqué vouloir ouvrir le dialogue avec les Québécois.

« Nous savons que l’islamophobie tue, a-t-elle affirmé, rappelant l’attentat de la grande mosquée de Québec et d’autres attaques contre les musulmans ailleurs au pays. C’est ça, l’enjeu. »

« C’est un exemple de comment on construit une compréhension de la différence et c’est la raison pour laquelle j’ai souhaité que l’on procède ainsi », a déclaré M. Blanchet après avoir accueilli Mme Elghawaby. Il ne s’est pas adressé à la presse après la rencontre.

Mme Elghawaby doit également rencontrer ce jeudi le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, qui s’était dit « profondément blessé par ses propos ».

Insuffisant pour Québec

Pour le gouvernement Legault, les excuses d’Amira Elghawaby sont insuffisantes. La nouvelle représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie doit démissionner, maintient-il.

« C’est une bonne chose qu’elle s’excuse, j’apprécie ses excuses, mais je ne crois toujours pas qu’elle a la légitimité et la crédibilité pour occuper la fonction que le premier ministre [Justin Trudeau] lui a confiée. Maintenant, la deuxième chose à faire, c’est de remettre sa démission », a réagi le ministre responsable des Relations canadiennes, Jean-François Roberge, à la sortie d’une réunion du cabinet Legault.

Pour lui, Mme Elghawaby était disqualifiée dès le départ, car elle a fait dans le passé « des déclarations qui sont terribles et qui s’apparentent à du racisme ».

Elle a exprimé d’abord des préjugés qui sont très graves à l’égard des Québécois, et elle a pris beaucoup de temps avant de s’excuser. Et avant de présenter des excuses aujourd’hui, elle a tenté de justifier des propos qui étaient totalement odieux et inacceptables.

Jean-François Roberge, ministre responsable des Relations canadiennes

Le chef intérimaire du Parti libéral du Québec (PLQ), Marc Tanguay, croit que les excuses de Mme Elghawaby sont « une bonne chose », mais que « c’est trop peu, trop tard ». « La personne responsable d’assumer les fonctions de conseillère spéciale chargée de la lutte contre l’islamophobie doit être rassembleuse, inspirer la confiance de tous et veiller à créer des ponts. Ce n’est malheureusement pas le cas de Mme Elghawaby. Par conséquent, nous souhaitons son remplacement », a-t-il déclaré.

Quelques heures avant les excuses de Mme Elghawaby, le premier ministre François Legault avait soutenu que la position de son homologue fédéral Justin Trudeau, qui appuie sa représentante « à 100 % », était intenable. « Quand c’est rendu que le Parti libéral du Québec dit au Parti libéral du Canada qu’il devrait changer sa décision, qu’il devrait congédier la dame, je pense que M. Trudeau a un vrai problème », a-t-il lancé en se rendant à la période des questions.

Mardi, sa formation, le Parti libéral et le Parti québécois (PQ) ont appuyé une motion réclamant le départ de Mme Elghawaby. Québec solidaire (QS) s’est abstenu de voter et rencontrera la représentante fédérale au cours des prochains jours. Sa co-porte-parole Manon Massé a nié que cet enjeu suscite un malaise dans ses rangs, tout en contredisant la thèse soutenue par son collègue Haroun Bouazzi voulant que le gouvernement cherche à faire diversion avec la controverse. Le PLQ accuse QS de « rester assis sur la clôture » face à un enjeu fondamental ; le PQ soutient que le parti de gauche fait preuve d’un « manque de solidarité » et est divisé à l’interne.

Trudeau change de ton

Le premier ministre Justin Trudeau a tenté mercredi d’apaiser les tensions avec Québec. « Je veux être très clair. Les Québécois ne sont pas racistes », a-t-il dit d’entrée de jeu avant la rencontre du caucus libéral. Il a ensuite offert une longue explication en français sur les visions diamétralement opposées de la laïcité du Québec et du Canada anglais.

PHOTO ADRIAN WYLD, LA PRESSE CANADIENNE

Justin Trudeau est toujours persuadé qu’Amira Elghawaby est « la bonne personne pour pouvoir bâtir des ponts, pour écouter, pour apprendre, pour enseigner aussi et pour rassembler les gens ».

« Il faut que les gens comprennent un petit peu qu’il y a deux différentes visions de ce qu’est une société laïque et que ça va se résoudre quand des gens raisonnables vont avoir une conversation réelle et profonde », a-t-il dit.

Justin Trudeau a confirmé qu’il était au courant « de certains des propos » d’Amira Elghawaby avant de la nommer comme représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie, sans vouloir préciser lesquels. « Mais il y en a certains autres qui sortent maintenant… », a-t-il dit avant d’être interrompu par une question.

« Elle a été là pour se battre pour les femmes qui portent le hijab », a souligné la députée libérale de l’Ontario Salma Zahid, qui est de confession musulmane.

M. Trudeau a fait valoir que quelqu’un qui « a été activiste pour une cause pendant de longues années va être différent de quelqu’un qu’un gouvernement charge d’être notre représentant » sur la lutte contre l’islamophobie. Il a réitéré sa confiance envers Amira Elghawaby.

Avec la collaboration de Fanny Lévesque, La Presse