(Québec et Ottawa) Le premier ministre Justin Trudeau est satisfait des explications données par Amira Elghawaby, contrairement au gouvernement Legault qui demande sa démission. La nouvelle représentante fédérale de la lutte contre l’islamophobie a déjà écrit que la « majorité des Québécois » semblaient « influencés par un sentiment antimusulman ».

Ce qu’il faut savoir

  • Le 11 juillet 2019, Mme Elghawaby dénonçait l’islamophobie des Québécois dans une chronique publiée dans l’Ottawa Citizen ;
  • Le ministre fédéral de la Diversité et de l’Inclusion, Ahmed Hussen, a annoncé le 26 janvier dernier la nomination d’Amira Elghawaby comme première représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie ;
  • Aussitôt annoncée, aussitôt critiquée : le Québec a demandé des excuses de la part d’Amira Elghawaby ;
  • Le 27 janvier, le premier ministre du Canada Justin Trudeau a invité Amira Elghawaby à clarifier sa position sur les Québécois ;
  • Le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, lui a demandé de retirer ses propos ;
  • Le 28 janvier, le chef du Parti conservateur du Canada, Pierre Poilievre, a réclamé le retrait d’Amira Elghawaby ;
  • Le ministre responsable de la Laïcité, Jean-François Roberge, a déclaré lundi que Mme Elghawaby « n’a fait que tenter de justifier ses propos odieux » au cours des derniers jours.

En ce jour de rentrée parlementaire à Ottawa, Justin Trudeau a affirmé lundi qu’il aurait nommé Mme Elghabawy à son poste même s’il avait su ce qu’elle avait écrit.

« Oui parce que c’est important d’avoir des gens qui peuvent parler pour la communauté, a-t-il répondu en mêlée de presse avant la période des questions. Et c’est quelqu’un qui connaît très bien la communauté musulmane y compris au Québec et qui est là pour exprimer leurs inquiétudes. »

Un peu plus tôt à Québec, le ministre responsable de la Laïcité, Jean-François Roberge, avait déclaré que Mme Elghawaby « n’a fait que tenter de justifier ses propos odieux » au cours des derniers jours.

« Au nom du gouvernement [du Québec], je lui ai demandé de retirer ses propos et de s’excuser. Or, elle n’a fait que tenter de justifier ses propos odieux. Ça ne passe pas. Elle doit démissionner et si elle ne le fait pas, le gouvernement [Trudeau] doit la démettre sans délai », a affirmé le ministre caquiste dans une déclaration écrite transmise aux médias.

« Il ne faut pas laisser planer que les Québécois seraient des gens systématiquement racistes ou fermés à des religions ou à des gens d’autres pays. C’est faux. Le Québec est un endroit très accueillant, les Québécois sont fraternels et accueillants. Et prétendre le contraire, quand en plus on occupe un poste officiel avec un salaire vraisemblablement payé par l’argent public, je trouve ça glissant », a également affirmé en marge d’une autre annonce la vice-première ministre Geneviève Guilbault 

« C’est déplacé, c’est très déplacé ce qu’elle a dit. Et je ne pense pas que ça va contribuer à resserrer les liens entre tous », a-t-elle ajouté.

Une chronique controversée

Dans une chronique publiée en juillet 2019 dans le quotidien Ottawa Citizen, Amira Elghawaby écrivait que « la majorité des Québécois semblent influencés non pas par la primauté du droit, mais par un sentiment antimusulman ». L’article, qui était cosigné par le président du Réseau canadien anti-haine et ex-directeur du Congrès juif canadien, Bernie Farber, dénonçait la Loi sur la laïcité de l’État (loi 21). Cette loi, adoptée sous bâillon par la Coalition avenir Québec (CAQ) au cours de son premier mandat, interdit le port de signes religieux aux employés de l’État en position d’autorité, y compris les enseignants. Elle est contestée devant les tribunaux.

Dans une entrevue avec La Presse, la semaine dernière, Mme Elghawaby avait défendu que sa chronique eût été mal comprise.

« Je veux être très claire. Je ne crois pas que la vaste majorité des Québécois sont islamophobes », avait-elle affirmé. La représentante fédérale contre l’islamophobie avait ensuite expliqué qu’elle s’était appuyée dans sa chronique sur un sondage Léger qui affirmait que 88 % des Québécois qui avaient une perception négative de l’islam appuyaient cette loi du gouvernement Legault.

Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, a accusé le premier ministre Trudeau de faire exprès pour dépeindre les Québécois comme islamophobes avec cette nomination.

« Je pense expressément que le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, travaille hardiment à donner mauvaise image, mauvaise presse et à culpabiliser les Québécois en les prétendants racistes, xénophobes ou islamophobes et ce faisant, il instrumentalise la méconnaissance que les différentes communautés ont les unes des autres », a-t-il soutenu.

Il réclame « une rencontre urgente » avec Mme Elghabawy pour obtenir davantage de clarifications sur ses propos passés, mais également sur ses intentions.

Le chef du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh, estime quant à lui que les explications données par Mme Elghawaby sont suffisantes. « Elle a clarifié ses remarques », a-t-il dit. Il a ajouté que l’islamophobie « n’est pas le problème d’une province », mais qu’elle existe partout au pays.

« C’est un impact réel dans la vie des communautés musulmanes, le fait que les musulmans sont tués à cause de leur religion, a-t-il ajouté. C’est une réalité, quelque chose qui s’est passé au Canada. » Il a cité l’attentat de la Grande Mosquée de Québec dont le sixième anniversaire a été souligné dimanche et l’attaque en 2021 qui a tué quatre membres d’une famille musulmane à London, en Ontario.

Le fait qu’Amira Elghabaway soit une femme l’expose encore davantage à la critique, selon lui.

La controverse entourant sa nomination a fait grand bruit la semaine dernière sur la colline parlementaire à Ottawa, où les travaux reprennent lundi à la Chambre des communes. Le ministre du Patrimoine canadien, le libéral Pablo Rodriguez, avait demandé à Mme Elghawaby de retirer ses propos. « Comme Québécois, je suis profondément blessé », avait-il dit.

Rectificatif
Une version précédente de ce texte indiquait que le sondage Léger sur lequel s’appuyait M
me Elghabawy affirmait que 88 % des Québécois qui appuyaient la loi 21 avaient une perception négative de l’islam. Il s’agit d’une erreur. C’est plutôt 88 % des Québécois avec une perception négative de l’islam qui appuyaient cette loi du gouvernement Legault.

D’autres réactions

Après la loi 21 et son refus de reconnaître le racisme systémique, la CAQ démontre encore […] une rigidité sans nom et un manque d’humanité en ne soutenant pas la nomination de Mme Elghawaby. Les Québécois veulent bâtir des ponts et non se diviser…

Jennifer Maccarone, députée du Parti libéral du Québec, dans un tweet qui a depuis été effacé

Je m’attends à ce qu’elle donne des explications. […] Il faut qu’elle s’explique parce que son rôle est important. La lutte contre l’islamophobie et la haine, c’est important. Il faut qu’on avance au Québec sur cette question-là et il faut le faire sans se pointer du doigt.

Gabriel Nadeau-Dubois, chef parlementaire de Québec solidaire

On questionne beaucoup la décision de celui qui l’a mise en place, c’est-à-dire le premier ministre Justin Trudeau. Avait-il fait les vérifications diligentes, à savoir quelles étaient les déclarations incendiaires qu’elle avait prononcées, y compris dans des textes publiés dans certains médias du Canada anglais et qui tendent à démontrer que ses préjugés anti-Québec sont assez profondément ancrés ?

Joël Arseneau, député du Parti québécois

Avec Gabriel Béland