(Ottawa) Les explications d’Amira Elghawaby n’ont pas satisfait le premier ministre Justin Trudeau, qui a invité la nouvelle représentante spéciale de la lutte contre l’islamophobie à clarifier ses propos sur les Québécois. Le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, est allé plus loin en lui demandant de les retirer. Mme Elghawaby a tenté à nouveau de corriger le tir en début de soirée, vendredi.

« Comme Québécois, je suis profondément blessé par ses propos, a réagi M. Rodriguez au micro de Radio-Canada vendredi. Je suis profondément insulté par ses propos et je m’attends à ce qu’elle les retire aujourd’hui. »

La nomination de Mme Elghawaby annoncée la veille soulève la controverse, à quelques jours du sixième anniversaire de l’attentat à la grande mosquée de Québec. Cette décision ne passe pas auprès de Québec, qui lui réclame des excuses. Cette journaliste et militante des droits de la personne, qui s’exprime bien en français, a déjà écrit que la « majorité des Québécois » semblaient « influencés par un sentiment antimusulman ».

C’est sûr que je ne suis pas d’accord avec ses propos et je m’attends à ce qu’elle se clarifie. La réalité, c’est qu’elle a une job importante à faire et pour bâtir des ponts, et pour lutter contre l’islamophobie partout où elle existe au pays.

Justin Trudeau

Il n’a pas répondu à la question d’une journaliste qui lui demandait si Mme Elghawaby pouvait réellement jeter des ponts entre les communautés étant donné ses publications controversées.

« C’est un poste indépendant », a indiqué le ministre de la Diversité et de l’Inclusion, Ahmed Hussen. « Mais la nomination du représentant spécial pour lutter contre l’islamophobie est l’aboutissement du leadership dont ont fait preuve les Québécois dans leur prise de position contre l’islamophobie », a-t-il ajouté en faisant allusion aux condamnations de l’attentat de 2017 à la grande mosquée de Québec qui avait fait six morts.

Le ministre Hussen n’a toutefois pas voulu dire si Mme Elghawaby devrait présenter des excuses.

« Je ne crois pas que les Québécois sont islamophobes ; mes commentaires passés faisaient référence à un sondage au sujet de la loi 21 », a réitéré Mme Elghawaby sur Twitter en début de soirée, vendredi. Elle a ajouté qu’elle cherchait « à rassembler tous les Canadiens à travers le pays pour combattre l’islamophobie » dans le cadre de son nouveau rôle.

Celle-ci a dénoncé l’islamophobie des Québécois dans une chronique publiée dans l’Ottawa Citizen le 11 juillet 2019. « Malheureusement, la majorité des Québécois semblent influencés non pas par la primauté du droit, mais par un sentiment antimusulman », a-t-elle écrit. L’article était cosigné par Bernie Farber, président du Réseau canadien anti-haine et ex-directeur du Congrès juif canadien.

Les deux auteurs s’opposaient à la Loi sur la laïcité de l’État (« loi 21 »), qui interdit le port de signes religieux aux employés de l’État en position d’autorité, y compris les enseignants.

« Cette fin de semaine, je serai avec tous les Québécois alors que nous nous rassemblerons pour commémorer les vies perdues [à la] suite [de] cet acte de haine et poursuivrai le travail en cours pour combattre l’islamophobie », a-t-elle ajouté sur Twitter en faisant référence au 29 janvier, jour de l’anniversaire de l’attentat à la grande mosquée de Québec.

Dans une entrevue avec La Presse jeudi⁠1, Mme Elghawaby avait soutenu que sa chronique avait été mal comprise. « Je veux être très claire. Je ne crois pas que la vaste majorité des Québécois sont islamophobes », s’était-elle défendu.

Elle a ensuite expliqué que son cosignataire et elle s’appuyaient sur un sondage Léger réalisé en mai 2019 pour l’Association des études canadiennes, selon lequel 88 % des Québécois qui avaient une perception négative de l’islam appuyaient cette loi du gouvernement Legault.

Réactions des partis d’opposition

« Justin Trudeau déploie contre le Québec un récit qui le dit xénophobe, islamophobe… et français, a dénoncé le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, sur Twitter. Payant en Ontario, principal champ de bataille de l’élection à venir. Pitoyable, et sachons-le : le Québec est peut-être la plus responsable et généreuse terre d’accueil en Amérique. »

La création du poste de représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie est un pas en avant pour le chef du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh.

« Je ne parlerai pas pour Mme Elghawaby, a-t-il déclaré par écrit. Je pense que le racisme et l’islamophobie existent dans toutes les régions du pays. Je ne crois pas que la plupart des Canadiennes et Canadiens et des Québécoises et Québécois partagent ces opinions. »

Le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, n’avait pas commenté la nouvelle au moment de la publication. Il s’est déjà prononcé contre la « loi 21 ».

La Loi sur la laïcité de l’État a été adoptée sous bâillon en juin 2019 par Québec. En l’adoptant, le gouvernement de la CAQ a utilisé la disposition de dérogation pour empêcher des contestations judiciaires basées sur certains articles de la Charte canadienne des droits et libertés. Cette loi est malgré tout contestée devant les tribunaux.

1. Lisez l’article « Trudeau nomme une militante qui a dépeint les Québécois comme  “antimusulmans” »