(Ottawa) Les premières bases d’un éventuel accord de paix au Cameroun viennent d’être jetées, et c’est au Canada que les plans ont été élaborés.

Le pays d’Afrique centrale avait fait appel au gouvernement canadien l’été dernier pour l’inviter à jouer le rôle de médiateur dans le litige opposant le gouvernement camerounais aux séparatistes anglophones, selon nos informations.

Des rencontres secrètes ont eu lieu à Montebello, à Mont-Tremblant et à Toronto, afin de permettre aux parties de négocier, a confirmé une source gouvernementale canadienne qui a requis l’anonymat, n’étant pas autorisée à discuter publiquement du dossier.

Les séances ont permis d’établir une feuille de route vers un potentiel accord de paix et une série de mesures de confiance ; on y a aussi formalisé le rôle que jouera le Canada comme arbitre tout au long du processus, selon une autre source fédérale à Ottawa.

« Ce rôle témoigne également de la détermination du Canada à travailler avec ses partenaires africains pour bâtir un avenir meilleur pour tous », a déclaré la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, par voie de communiqué, vendredi.

La Suisse avait déjà tenté de jouer le rôle d’intermédiaire, mais la démarche n’avait pas porté ses fruits. « Tout est au point mort », lit-on dans un article publié en juillet 2021 dans le quotidien genevois Le Temps, où l’on évoquait aussi une insistance du gouvernement canadien.

« De l’autre côté de l’Atlantique, le Canada, qui finance avec la Suisse la mission […] à hauteur d’environ 800 000 francs suisses [près de 1,2 million de dollars canadiens], et les États-Unis veulent absolument que la facilitation suisse continue […] », y lit-on.

« Une catastrophe silencieuse »

Les tensions historiques qui couvaient dans les régions anglophones du Sud-Ouest et du Nord-Ouest ont dégénéré en conflit armé en 2017 entre les forces gouvernementales et le mouvement revendiquant l’indépendance de la « république fédérale d’Ambazonie ».

Les groupes séparatistes armés enlèvent, terrorisent et tuent des civils, commettent des viols, brûlent des écoles ou ordonnent leur fermeture, a dénoncé en juin dernier le groupe Human Rights Watch.

Le conflit a fait plus de 6000 morts et 765 000 déplacés, dont 70 000 ont trouvé refuge au Nigeria ; plus de 600 000 enfants ne peuvent par ailleurs plus fréquenter l’école, selon l’International Crisis Group.

« On peut dire que c’est une espèce de catastrophe silencieuse, parce que ce n’est pas très médiatisé », fait valoir Mamoudou Gazibo, professeur titulaire au département de science politique de l’Université de Montréal.

Le conflit remonte à la colonisation – en 1961, les régions anglophones qui auraient dû aller au Nigeria ont été rattachées à la partie francophone pour former le Cameroun ; les anglophones ressentent une « forme d’exclusion », raconte le politologue.

Et le président Paul Biya, 89 ans, porté au pouvoir en 1982, semble impuissant. « On dit souvent qu’il passe six mois par an en Suisse à se faire soigner. On se demande vraiment comment le pays tient », ajoute M. Gazibo.

Le facteur Boko Haram

Pour ne rien arranger, le Cameroun est également aux prises avec « les répercussions de l’émergence du groupe Boko Haram », relève Marie-Joëlle Zahar, chercheuse au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM).

La présence de l’organisation terroriste née au Nigeria voisin « complique le conflit, car elle a donné au gouvernement un argumentaire supplémentaire pour une réponse qui soit essentiellement sécuritaire », explique-t-elle.

Ce facteur devrait être pris en compte en amont plutôt qu’a posteriori, estime celle qui est aussi directrice du Réseau de recherche sur les opérations de paix.

La question s’est posée au sujet du Soudan. On s’est dit par après qu’on avait peut-être fait l’erreur de se focaliser sur le conflit avec le Sud, sans comprendre qu’il y avait des liens très forts avec ce qui se passait au Darfour et dans d’autres régions.

Marie-Joëlle Zahar, chercheuse au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal

« Nous sommes, à mon sens, dans une problématique similaire », juge Mme Zahar.

Les parties à l’accord sont la République du Cameroun, le Conseil de gouvernement de l’Ambazonie et les Forces de défense de l’Ambazonie, le Mouvement populaire de libération de l’Afrique et les Forces de défense du Sud-Cameroun, le gouvernement intérimaire, ainsi que l’Équipe de coalition de l’Ambazonie.