(Ottawa) L’alcool a contribué à la longue descente aux enfers de Patrick Brazeau, il y a 10 ans. Aujourd’hui sobre, le sénateur veut informer la population de certains méfaits peu connus causés par chaque verre de vin, de bière ou de spiritueux. Il a déposé un projet de loi pour ajouter des étiquettes sur les bouteilles afin d’avertir les gens du lien entre la consommation d’alcool et le développement de cancers.

« Ça vient me chercher parce que ça a failli mettre fin à mes jours, confie-t-il en entrevue. Si ça n’avait pas été de l’alcool, jamais je n’aurais fait deux tentatives de suicide. »

Il admet avoir consommé « au-delà de 15 bouteilles de bière » et bu plus de 1 litre de scotch lorsqu’il a tenté d’en finir pour la deuxième fois, en 2016. Il était alors toujours empêtré dans le scandale des dépenses du Sénat. Les accusations de fraude et d’abus de confiance ont par la suite été abandonnées. La Cour lui a également donné une absolution inconditionnelle pour d’autres accusations de voies de fait simples et de possession de cocaïne.

À son retour au travail, il a commencé à faire des recherches et a découvert avec étonnement qu’il y avait un lien prouvé scientifiquement entre la consommation de boissons alcoolisées et plusieurs types de cancers. L’Organisation mondiale de la santé en a ciblé sept : le cancer de la bouche, de la gorge, du larynx, de l’œsophage, du sein chez les femmes, du foie et le cancer colorectal.

Ce n’est pas à moi de dire aux gens quoi faire ou quoi ne pas faire. Moi, j’ai fait le choix d’être sobre. Ça va faire trois ans au mois de mars prochain. Je sais que jamais je ne vais retoucher à une autre goutte d’alcool de ma vie.

Patrick Brazeau

Il estime toutefois que les gens devraient être au courant que leur consommation pourrait les amener à développer des tumeurs cancéreuses. « Nous savons maintenant que le risque de cancer ou de mort causé par une cigarette est le même que pour un verre d’alcool », explique Tim Stockwell, chercheur au Canadian Institute for Substance Use Research de l’Université de Victoria.

Test interrompu au Yukon

Le professeur avait tenté en 2017 de tester l’impact de mises en garde sur les bouteilles vendues dans les magasins du Yukon pour informer les consommateurs de l’effet cancérigène de l’alcool. Le gouvernement du territoire avait finalement cédé aux pressions de l’industrie et mis fin après 29 jours à l’étude financée par Santé Canada.

Ils ont écrit à mon université pour la menacer de poursuites, à la Santé publique de l’Ontario où mon collègue travaillait, ils ont assailli Santé Canada en disant que le gouvernement territorial n’avait ni le droit ni l’autorité de coller ces étiquettes sur leurs bouteilles, qu’elles induisaient les gens en erreur et qu’elles étaient diffamatoires.

Tim Stockwell, chercheur au Canadian Institute for Substance Use Research de l’Université de Victoria

Patrick Brazeau n’est pas dupe. Il sait bien qu’il se lance dans un long combat, d’autant plus qu’il s’agit d’une initiative privée, puisqu’il n’est affilié à aucun parti politique. « Je ne vais pas céder, dit-il. Ma santé est bonne. Il me reste à peu près 27 ans encore au Sénat. Le combat a pris entre 25 et 30 ans avec l’industrie du tabac, alors si mes calculs sont bons, peut-être qu’on va y arriver à l’intérieur de ce délai-là. »

Il rappelle que son combat de boxe contre Justin Trudeau en 2012 visait à amasser des fonds pour la recherche sur le cancer. Il veut également honorer une promesse faite à sa mère, qui est morte de cette maladie en 2004. Et sa bataille la plus difficile, il dit la mener tous les jours.

Le sénateur de 48 ans a choisi de se concentrer sur le lien entre l’alcool et le cancer pour simplifier son projet de loi et ainsi maximiser ses chances de succès. Les étiquettes qu’il propose pour les bouteilles indiqueraient le volume d’un verre standard, le nombre de verres qu’elles contiennent, celui à ne pas dépasser pour éviter d’importants risques pour la santé – et un message pour informer les consommateurs du lien entre la consommation d’alcool et le développement de cancers mortels.

Opposition des brasseurs

Bière Canada, qui représente de nombreux brasseurs au pays, fait valoir que les étiquettes « n’ont pas d’impact sur la consommation moyenne d’alcool et qu’elles ont également peu d’impact sur l’amélioration des connaissances sur les risques ».

Les étiquettes représentent au contraire « une intervention prometteuse », selon Catherine Paradis, directrice associée à la recherche par intérim du Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances. Elle travaille depuis quelques années à l’élaboration des nouvelles directives fédérales sur la consommation d’alcool.

« Quand on a fait des consultations publiques dans le cadre de ce projet-là, on se rendait compte à quel point la littératie liée à l’alcool est excessivement faible au Canada », signale-t-elle.

Environ 20 % des gens sont au courant du lien entre l’alcool et le cancer. C’est vraiment méconnu.

Catherine Paradis, directrice associée à la recherche par intérim du Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances

Santé Canada, tout comme Éduc’alcool, recommande de ne pas dépasser 2 verres d’alcool par jour et un maximum de 10 par semaine pour les femmes. Pour les hommes, c’est 3 verres quotidiens et un maximum de 15 par semaine. Les nouvelles directives fédérales seront connues le 17 janvier.

Besoin d’aide ?

Si vous avez besoin de soutien, si vous avez des idées suicidaires ou si vous êtes inquiet pour un de vos proches, appelez le 1 866 APPELLE (1 866 277-3553). Un intervenant en prévention du suicide est disponible pour vous 24 heures sur 24, sept jours sur sept.

Consultez le site de l’Association québécoise de prévention du suicide