(Ottawa) Le ministre fédéral de la Santé, Jean-Yves Duclos, pose un diagnostic des plus inquiétants lorsqu’il évalue l’état du réseau de la santé au pays : le patient est « gravement malade », dit-il, et il faudra le transférer sous peu aux soins intensifs si rien n’est fait pour le rétablir.

La maladie qui l’afflige – « la maladie des silos » – peut être guérie. Mais il faudra plus que de l’argent du fédéral pour y arriver, selon lui. Les provinces doivent faire les choses différemment, notamment en instituant un meilleur partage des données et en utilisant des indicateurs de santé communs, plaide-t-il, dans une longue entrevue accordée à La Presse.

« Le système est gravement malade. Il est à l’urgence et on ne veut pas qu’il se rende aux soins intensifs. […] Il est à l’urgence parce qu’on n’a pas pris soin de lui avant », lance le ministre Duclos.

« On parle de système de santé. Mais on n’a pas un système de santé au Canada ou au Québec. On a des morceaux qui pourraient faire un système dans son ensemble, mais ce n’est pas le cas parce que les morceaux de ce système travaillent indépendamment l’un de l’autre. C’est la maladie des silos. Et tout le monde reconnaît que c’est une maladie sérieuse », constate-t-il.

Notre système ne survivra pas si on ne fait pas des changements majeurs. […]. Il faut que les silos disparaissent pour que les gens puissent travailler davantage ensemble, qu’on reste centré sur le patient et qu’il y ait un meilleur partage de l’information.

Jean-Yves Duclos, ministre de la Santé du Canada

À titre d’exemple, le ministre Duclos souligne que les hôpitaux travaillent indépendamment des médecins de famille. Les médecins, eux, travaillent indépendamment des CLSC et des pharmacies, énumère-t-il.

Résultat : il n’y a pas suffisamment de partage d’information sur la santé des gens entre les différents acteurs du réseau. Cela contribue largement à sa lourdeur, à son inefficacité et à son coût élevé.

Voilà pourquoi le gouvernement fédéral tient mordicus à ce que les provinces acceptent certaines réformes pour assurer la viabilité du réseau avant d’injecter des milliards de dollars de plus.

« Vous allez à l’urgence et il est probable que l’infirmière ou le médecin qui va vous accueillir ne puisse pas accéder à votre dossier de santé. La seule façon de le faire, c’est d’envoyer un fax peut-être à votre médecin de famille, essayer d’appeler à son bureau pour lui demander de lui envoyer de l’information à votre sujet. C’est beaucoup de temps et énormément d’argent qui sont gaspillés. Et ça affecte beaucoup la sécurité des soins. Le pauvre médecin qui va vous soigner va avoir peur de ne pas vous soigner correctement parce qu’il n’a pas suffisamment d’informations sur vous », a-t-il relevé.

Selon lui, cette situation doit changer. Le statu quo est intenable.

Les données sauvent des vies. Il faut un meilleur partage de données entre les fournisseurs de soins et les patients.

Jean-Yves Duclos, ministre de la Santé du Canada

Au Québec, le ministre Duclos affirme que seulement le tiers des médecins de famille sont en mesure d’obtenir des informations en dehors de leur milieu de pratique ou sont capables d’envoyer des informations en dehors de leur clinique privée. « Un tiers, ce n’est pas beaucoup. »

Transferts en santé

Au cours des dernières semaines, la guerre des mots entre Ottawa et les provinces s’est intensifiée au moment où les urgences des hôpitaux sont surchargées et que les travailleurs de la santé sont au bout du rouleau après plus de deux ans de pandémie de COVID-19 et l’arrivée de virus respiratoires.

Les provinces réclament une hausse annuelle des transferts en santé de l’ordre de 28 milliards de dollars, et cela sans condition. Selon les calculs des provinces, une telle hausse ferait en sorte qu’Ottawa paierait 35 % de la facture totale liée au système de santé contre 22 % aujourd’hui. Il y a deux semaines, les premiers ministres des provinces ont demandé à Justin Trudeau de convoquer une rencontre au début de la nouvelle année pour régler ce dossier.

Ottawa réplique qu’il paie sa juste part des coûts des soins de santé si l’on tient compte des points d’impôt qu’il a transférés aux provinces dans les années 1970. Il est aussi hors de question de signer un nouveau chèque aux provinces sans exiger des résultats en retour.

« Si j’envoyais tout l’argent que réclament les provinces, il n’y a aucune garantie que… les gens attendraient moins longtemps dans les hôpitaux », a d’ailleurs soutenu Justin Trudeau dans une entrevue à CBC. « Cela ne sert à rien de mettre plus d’argent dans un système défaillant. »

En entrevue, le ministre Duclos a souligné que les transferts en santé aux provinces augmenteront de 10 % à compter du mois de mars. Et que le gouvernement fédéral a versé des milliards de dollars de plus aux provinces durant la pandémie.

« Il faut s’assurer que notre système reste en vie à long terme parce que notre population vieillit. Nos travailleurs vieillissent aussi. […] Tous les ministres savent et admettent que c’est important d’investir dans les infrastructures des données. Mais en raison de la crise aiguë que vit notre système de santé, l’énergie et l’attention sont toujours tournées vers les hôpitaux. »