(Québec) Le gouvernement Legault s’apprête à nommer le tout premier commissaire à la langue française, un nouveau chien de garde indépendant prévu à sa réforme de la loi 101. Il a retenu la candidature du philosophe et haut fonctionnaire au fédéral Benoît Dubreuil, coauteur de l’essai Le remède imaginaire – Pourquoi l’immigration ne sauvera pas le Québec, a appris La Presse. Un suspense entoure toutefois cette nomination, car elle ne ferait pas l’unanimité à l’Assemblée nationale.

À moins d’un revirement de dernière minute, le premier ministre François Legault proposera la nomination de M. Dubreuil au Salon bleu ce vendredi, dernier jour de la courte session parlementaire.

En vertu de la loi 96 adoptée le printemps dernier, les deux tiers de la Chambre doivent approuver sa nomination – comme c’est le cas pour une poignée d’officiers importants tel le vérificateur général.

Même si la Coalition avenir Québec (CAQ) a déjà plus de 66 % des députés à l’Assemblée nationale, le gouvernement cherche à obtenir l’appui unanime de l’opposition, ou un large consensus dans le pire des cas, comme le veut la tradition. Des discussions ont eu lieu au cours des derniers jours avec les partis de l’opposition, mais il n’y aurait pas unanimité, selon nos informations.

Le Parti libéral du Québec et Québec solidaire n’ont pas voulu réagir en entrevue, alors que le cabinet du premier ministre n’a voulu ni confirmer ni infirmer ces informations.

Benoît Dubreuil détient une maîtrise en philosophie de l’Université de Montréal et un doctorat dans le même domaine de l’Université libre de Bruxelles. Il a déjà été chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM). Sous le gouvernement Marois, il a été conseiller politique du ministre de l’Enseignement supérieur, Pierre Duchesne.

Depuis 2016, il occupe des postes de direction dans des organismes fédéraux. Après quelques années à Services aux Autochtones Canada, il travaille à l’Agence d’évaluation d’impact du Canada. Il en est le directeur général par intérim des opérations régionales pour l’est du pays.

Un « impact marginal »

En 2011, Benoît Dubreuil a publié avec le démographe Guillaume Marois le livre Le remède imaginaire – Pourquoi l’immigration ne sauvera pas le Québec (Boréal), qualifié d’essai-choc à l’époque. Les auteurs y soutiennent que, contrairement à ce que plusieurs pensent, la hausse des seuils d’immigration n’est pas une solution miracle à la pénurie de main-d’œuvre et au vieillissement de la population. La venue de nouveaux arrivants avait un « impact marginal » sur ces deux phénomènes.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Benoît Dubreuil (gauche) et Guillaume Marois, auteurs du livre Le remède imaginaire – Pourquoi l’immigration ne sauvera pas le Québec, en 2011.

Toujours selon eux, « l’impact sur les finances publiques est probablement négatif, les immigrants recevant davantage de transferts fiscaux et payant moins d’impôts ».

« Économiquement et démographiquement, le Québec n’a pas besoin d’immigration, concluent-ils. Dire le contraire revient à créer des attentes condamnées à être déçues. Les Québécois doivent poursuivre le débat sur leurs politiques d’immigration et d’intégration, mais en mettant de côté cet argument une fois pour toutes. »

Cet argument est véhiculé, selon eux, notamment par le Parti libéral du Québec – au pouvoir à l’époque de la parution de l’essai – « pour des motifs électoraux ».

« Malgré la francisation relative de l’immigration, l’appui au Parti libéral du Québec demeure proportionnellement plus fort chez les immigrants que chez les natifs. Le gouvernement [libéral à l’époque] a donc un intérêt objectif à faire diminuer la part relative des natifs dans la population », analysent-ils.

Une question de poids

Ils critiquent aussi l’argument selon lequel il faut augmenter l’immigration pour maintenir ou augmenter le poids du Québec à l’intérieur du Canada. Car « on oublie en effet de mentionner que l’immigration […] vient du même coup réduire le poids relatif du français au Québec ».

Les auteurs soulignent que « toute augmentation de l’immigration a pour effet direct de faire diminuer la part de la population utilisant le français à la maison. Certains diront que la langue parlée à la maison n’est pas un indicateur important, qu’il est préférable d’examiner la “connaissance du français” ou l’utilisation du français comme “langue de travail”. Or, quel que soit l’indicateur utilisé, on arrive à la conclusion que les immigrants utilisent considérablement moins le français que la population native ».

Benoît Dubreuil et Guillaume Marois doutent que l’on puisse mettre sur pied « un système de francisation idéal, c’est-à-dire capable d’amener les immigrants que nous recevons actuellement à un niveau de compétence linguistique qui éliminerait leur désavantage par rapport aux natifs ».

Il ne reste plus qu’à trouver ce système [de francisation idéal]. Évidemment, on nage ici dans le rêve. Les efforts de francisation du gouvernement sont certes louables, mais ils ne peuvent que donner un coup de pouce aux immigrants les plus motivés à apprendre le français.

Extrait du livre Le remède imaginaire – Pourquoi l’immigration ne sauvera pas le Québec, publié en 2011.

Ils déplorent que, « pour plusieurs, critiquer la politique d’immigration » comme ils le font « revient à critiquer les immigrants en tant que personnes », à dire que « le Québec n’a pas besoin d’immigrants » ou que l’immigration est « nécessairement mauvaise ».

Ils se disent de « farouches partisans d’un meilleur investissement dans les politiques d’intégration et d’un meilleur suivi des performances économiques des immigrants admis au Québec ».

Nouvelles responsabilités

En vertu de la loi 96, « la personne proposée par le premier ministre » au poste de commissaire à la langue française « doit avoir une sensibilité ainsi qu’un intérêt marqués en matière de protection de la langue française ». Le mandat est de sept ans et ne peut être renouvelé.

Le commissaire est chargé de « surveiller l’évolution de la situation linguistique au Québec ». Il doit notamment « faire le suivi de la connaissance, de l’apprentissage et de l’utilisation du français par les personnes immigrantes ».

Le commissaire a pour fonction de « surveiller le respect des droits fondamentaux » conférés par la Charte de la langue française et « l’exécution des obligations » que celle-ci impose aux entreprises et à l’administration publique.

Il détient des pouvoirs d’enquête et peut intervenir en justice pour la défense du français. Il a le pouvoir de formuler des avis et des recommandations au ministre de la Langue française, au gouvernement et à l’Assemblée nationale.

Un nouveau directeur général des élections

Il y aura une autre nomination aux deux tiers de la Chambre, ce vendredi. Le gouvernement et l’opposition se sont entendus pour nommer un nouveau directeur général des élections du Québec (DGEQ). Ce sera Jean-François Blanchet, qui travaille déjà chez Élections Québec, a appris La Presse. Il était l’adjoint du DGEQ Pierre Reid. Or, ce dernier, âgé de 69 ans, disait ouvertement en août qu’il avait manifesté au gouvernement son intérêt pour obtenir un renouvellement de son mandat, d’une durée de sept ans. Il affirmait ne pas vouloir prendre sa retraite de sitôt. « Je veux vraiment poursuivre » le travail, « la passion est là », disait-il en entrevue à La Presse Canadienne. Son souhait n’est finalement pas exaucé.