(Ottawa) Avec une cible d’immigrants francophones déjà trop basse à 4 %, que le gouvernement fédéral échoue à atteindre année après année, il est plus que temps qu’Ottawa redresse la barre et revoit cette cible à la hausse, estime le nouveau ministre des Relations canadiennes et de la Francophonie canadienne, Jean-François Roberge.

Le gouvernement Trudeau a annoncé le mois dernier que le Canada prévoyait accueillir un nombre record de 500 000 nouveaux arrivants par année à compter de 2025. De ce nombre, il se fixe comme objectif de recevoir 4 % d’immigrants francophones. Selon M. Roberge, cette cible est carrément « insuffisante » pour assurer la vitalité des communautés francophones en milieu minoritaire et contrer le déclin du français au Canada.

Ottawa n’a jamais réussi à atteindre cette cible dans le passé. Il y a donc un important retard à combler, a fait valoir M. Roberge en entrevue avec La Presse. Selon lui, le gouvernement Trudeau doit plutôt fixer « un seuil de réparation » de 12 % à 20 % d’immigrants francophones.

« Atteindre la cible de 4 %, il n’y a pas personne qui va se satisfaire de cela. Le Québec ne sera pas satisfait si le gouvernement fédéral atteint sa cible insuffisante. C’est une mauvaise cible. Atteindre une mauvaise cible, c’est échouer quand même », a affirmé sans ambages M. Roberge.

La cible de 4 % est trop basse. Cela fait trop longtemps qu’elle est trop basse. Et en plus, le gouvernement fédéral échoue à atteindre une cible trop basse. Cela veut dire qu’il a accumulé un retard au fil des années. Il a l’obligation morale de rattraper ce retard.

Jean-François Roberge, ministre des Relations canadiennes et de la Francophonie canadienne

M. Roberge, qui était de passage à Ottawa jeudi et vendredi afin de rencontrer notamment son homologue fédérale, la ministre des Langues officielles Ginette Petitpas-Taylor, appuie sans hésiter une demande de la Fédération des communautés francophones et acadienne, qui presse le gouvernement Trudeau de refaire ses devoirs en matière d’immigration francophone.

Des statistiques « alarmantes »

Le mois dernier, le ministre fédéral de l’Immigration, Sean Fraser, a confirmé que le Canada entendait ouvrir plus que jamais ses portes à l’immigration. Au cours des trois prochaines années, on compte accueillir près de 1,5 million d’immigrants.

En 2023 et en 2024, les seuils d’immigration seront de 465 000 et 485 000 nouveaux arrivants respectivement, et de 500 000 en 2025. Ces cibles s’appliquent à l’ensemble du pays sauf le Québec. Au Québec, le gouvernement Legault s’en tient pour le moment à une cible de 50 000 immigrants par année.

En entrevue, M. Roberge a affirmé que les statistiques sur le déclin du français sont alarmantes au Québec et dans le reste du pays. Au Québec, tous les voyants sont au rouge, a-t-il répété en citant les plus récentes données de Statistique Canada. Il a rappelé que l’on assiste à un recul du français sur plusieurs fronts dans la Belle Province — langue maternelle, langue de travail, langue parlée à la maison.

Si ça va mal pour le français au Québec, eh bien, ce sont des temps durs pour la francophonie hors Québec. Et si la francophonie canadienne ne va pas bien, ce n’est pas bon non plus pour le français au Québec. C’est un déclin qui nourrit l’autre. En ce moment, il y a des reculs partout.

Jean-François Roberge, ministre des Relations canadiennes et de la Francophonie canadienne

« Ce n’est pas seulement causé par les politiques migratoires. Il faut faire attention. Ce n’est surtout pas la faute des immigrants eux-mêmes. Je ne jette pas la pierre aux immigrants. Mais on doit avoir des politiques d’immigration qui nous permettent de corriger les erreurs qui ont été commises. Il est temps que le gouvernement fédéral change la donne », a-t-il pris soin d’ajouter.

Des étudiants francophones étrangers exclus

M. Roberge a indiqué avoir abordé ce dossier avec le lieutenant politique de Justin Trudeau au Québec, le ministre du Patrimoine Pablo Rodriguez, et avec le ministre des Affaires intergouvernementales, Dominic LeBlanc.

Un geste qui pourrait être fait rapidement touche les étudiants francophones étrangers. « Le premier signe de bonne foi, ce serait de changer dans les prochaines semaines, sans perdre de temps, le processus qui mène à l’octroi des permis pour les étudiants francophones étrangers. Il y a dans les formulaires un vice qui exclut des dizaines de milliers d’étudiants francophones étrangers quand on leur demande s’ils songent à rester au pays. Juste pour le Québec, c’est 20 000 étudiants francophones étrangers qui sont exclus. C’est énorme », a-t-il déploré.

M. Roberge a aussi exhorté le gouvernement Trudeau à amender le projet de loi C-13 visant à moderniser la Loi sur les langues officielles. « Ce projet de loi, tel qu’il est en ce moment, n’est pas acceptable pour le Québec », a-t-il dit.

Selon lui, il est impératif d’y inclure une approche « asymétrique » qui accorde la priorité à la protection du français tant au Québec que dans le reste du pays. « C-13 met les communautés linguistiques minoritaires sur un pied d’égalité. Cela veut dire qu’on s’inquiète pour les anglophones du Québec parce qu’ils sont minoritaires. Je m’excuse, mais c’est n’importe quoi. Le français est minoritaire à l’échelle pancanadienne et, bien que majoritaire au Québec, il y est menacé. Ce n’est pas Jean-François Roberge qui le dit. C’est Statistique Canada. »