(Djerba) Après le gouvernement Trudeau, Québec révèle avoir hésité à prendre part au Sommet de la Francophonie, qui s’ouvre sur fond de tension politique à Djerba, en Tunisie. Le gouvernement Legault refuse cependant de condamner le régime du président Kaïs Saïed et rétorque qu’il « donne une chance à la démocratie ».

« On est ici pour la Francophonie. On n’est pas ici pour le contexte politique de la Tunisie. La Tunisie reçoit le Sommet de la Francophonie, on ne condamne pas, mais on ne salue pas la situation. On leur donne une chance », a lancé la ministre des Relations internationales et de la Francophonie, Martine Biron, lors d’une rencontre avec les journalistes à son arrivée en Tunisie.

Celle qui en est à ses premiers pas sur la scène diplomatique a usé de prudence au sujet des politiques controversées du président tunisien Kaïs Saïed, qui s’est emparé de tous les pouvoirs en juillet 2021 au motif que le pays était devenu ingouvernable. La Presse a révélé en août dernier que le premier ministre Justin Trudeau avait fait discrètement campagne auprès de la France pour reporter à nouveau le Sommet.

« C’est sûr que le président Saïed a fait un geste inusité, extrême même, en décidant de démettre son gouvernement, mais depuis le Printemps [arabe], je dirais que la présidence et le premier ministre, ça ne fonctionnait pas, les deux s’annulaient, c’était devenu dysfonctionnel et ingérable », a nuancé Mme Biron, qui participe ce vendredi à la Conférence ministérielle de la Francophonie.

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Élu démocratiquement en 2019, le président tunisien Kaïs Saïed s’est emparé de tous les pouvoirs en juillet 2021 au motif que le pays était devenu ingouvernable.

Le premier ministre François Legault, quant à lui, atterrit sur l’île tunisienne vendredi après-midi. Il s’agit de sa première mission à l’étranger depuis sa réélection. Une possible rencontre Trudeau-Legault en marge du Sommet n’est toujours pas écartée à ce stade.

Mme Biron a expliqué que la tenue d'« élections démocratiques » le 17 décembre en Tunisie a pesé favorablement dans la décision du Québec de s’y déplacer après avoir fait « la balance des inconvénients ».

« Si on condamne la Tunisie, c’est un peu comme si on condamnait l’Afrique et la Francophonie, c’est fragile », a-t-elle défendu alors que le Sommet, qui se tient traditionnellement tous les deux ans, revient après quatre ans d’absence. Elle souligne que la situation est aussi difficile pour les Tunisiens et que l’évènement international « va leur permettre de rayonner ».

Après avoir été reporté une première fois en 2020 en raison de la pandémie, le Sommet a encore été repoussé en 2021 avec l’approbation du Conseil permanent de la Francophonie, qui a invoqué la crise politique provoquée par les changements adoptés donnant plus de pouvoirs au président Saïed, élu démocratiquement en 2019.

Il faut donner une chance à la démocratie. Ce n’est pas simple pour un jeune pays comme la Tunisie.

Martine Biron, ministre des Relations internationales et de la Francophonie

Pas question alors pour le Québec de se mêler des affaires de la Tunisie. De son côté, Ottawa fait de la protection « de la démocratie et des droits de la personne » l’un de ses messages clés pour justifier sa visite sur le sol tunisien.

Après plusieurs semaines de suspense, la présence du président français Emmanuel Macron a aussi été confirmée. Le Canada et la France sont les deux principaux bailleurs de fonds de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).

Toujours un « dilemme », selon un expert

« C’est un succès pour [le président Saïed]. Au moins, il a évité une humiliation », a fait valoir de son côté le politologue Sami Aoun. Pour lui, le report d’un évènement comme celui-là est toujours un « dilemme ».

« Si vous le reportez pour punir [les autorités] ou leur envoyer un message fort sur la question des droits de la personne, on peut risquer de l’autre côté de ne pas aider au processus de la démocratisation », explique le professeur titulaire à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke.

« Le Canada et d’autres instances réglementaires […] s’inquiètent du fait de retour de l’État policier. Que, de nouveau, on voit par exemple des arrestations arbitraires, l’interdiction à des politiciens tunisiens de voyager, qu’on harcèle ou intimide l’expression libre », ajoute-t-il.

Le Québec a un rôle à jouer, plaide QS

Pour le nouveau député de Québec solidaire, Haroun Bouazzi, qui est originaire de Tunisie, le premier ministre Legault doit profiter de sa présence pour « rappeler les obligations » du pays. Le Québec est d’ailleurs reconnu comme un État à part entière de l’OIF, qui regroupe 88 États et gouvernements.

« Je pense que c’est la façon la plus efficace pour que le gouvernement [de la Tunisie] ne pense pas qu’il a un chèque en blanc pour continuer ses dérives autoritaires », a affirmé le député de Maurice-Richard. Selon lui, « les questions économiques ne peuvent pas être une excuse pour fermer les yeux ».

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Haroun Bouazzi

François Legault doit notamment participer au Forum économique francophone qui se tient dimanche, où il prononcera une allocution.

La Francophonie a entre autres comme mission de soutenir la démocratie et les droits de la personne.

Le Sommet de la Francophonie, qui se tient du 19 au 20 novembre sous le thème « Connectivité dans la diversité », survient aussi alors que les pays membres de l’OTAN sont sur les dents après des tirs de missiles ayant fait deux morts en Pologne. La guerre en Ukraine sera également en toile de fond des échanges alors que les partenaires francophones veulent renforcer les chaînes d’approvisionnement.