(Ottawa) Le Bureau du Conseil privé a alloué 18,8 millions de dollars pour la tenue de la Commission sur l’état d’urgence. Cette enquête publique menée par le juge Paul Rouleau compte une vingtaine d’avocats en plus du personnel de soutien. Mais au-delà du coût, il s’agit surtout d’un pensez-y-bien avant de recourir à la Loi sur les mesures d’urgence.

« C’est quelque chose qui va faire partie de la réflexion de tout futur gouvernement qui serait tenté d’avoir recours à ces pouvoirs exceptionnels là », affirme en entrevue le professeur de droit de l’Université Laval Louis-Philippe Lampron.

Selon lui, le Québec devrait s’en inspirer et ajouter ce type de garde-fou dans la Loi sur la santé publique en cas de déclaration d’urgence sanitaire. « On le voit au Québec, il n’y a à peu près rien eu pour ce qui est de la reddition de comptes parce que la loi ne force pas le gouvernement Legault à faire un bilan et à montrer ses cartes. »

Cette reddition de comptes dans la Loi sur la santé publique est beaucoup moins contraignante que celle prévue dans la Loi sur les mesures d’urgence. Alors qu’à Ottawa le gouvernement Trudeau doit se soumettre à une enquête publique et à l’examen d’un comité parlementaire, le gouvernement Legault n’a eu qu’à transmettre un rapport d’évènement de 39 pages rendu public le 7 juin.

Il avait déclaré l’état d’urgence sanitaire le 13 mars 2020 et l’a maintenu jusqu’au 1er juin 2022, ce qui lui a permis de gouverner par décrets pendant plus de deux ans. Une loi a été adoptée ce jour-là pour conserver certains pouvoirs d’exception jusqu’au 31 décembre, comme celui d’imposer le port du masque dans les transports en commun et les milieux hospitaliers.

« Les évènements n’étaient pas du tout les mêmes, mais ce sont quand même des pouvoirs similaires, c’est-à-dire qu’on rapatrie les pouvoirs aux mains de l’exécutif, mais pour une période de plus de deux ans dans le contexte de la COVID-19 », rappelle M. Lampron.

« À mesure exceptionnelle, il faut qu’il y ait des contre-mesures exceptionnelles », ajoute-t-il. Il en va « du maintien de la confiance de la population envers les instances ».

À ce jour, le gouvernement Legault a fait la sourde oreille aux demandes d’enquête publique des partis de l’opposition.

État d’urgence justifié ?

À Ottawa, l’enquête publique doit déterminer si le recours historique à la Loi sur les mesures d’urgence pour mettre fin au « convoi de la liberté » et aux blocages de postes frontaliers ailleurs au pays était justifié. La Commission a entendu 43 témoins à ce jour sur les 71 prévus. Plusieurs ont affirmé que les forces policières auraient pu réussir à déloger les manifestants sans les pouvoirs d’urgence accordés par le gouvernement fédéral.

Depuis le début, on se pose la question : est-ce qu’il était nécessaire, pas utile, mais nécessaire d’avoir les pouvoirs exceptionnels qui ont été adoptés en vertu de la Loi sur les mesures d’urgence parce que c’est le seuil en vertu duquel on devrait autoriser un gouvernement à s’arroger des pouvoirs exceptionnels ?

Louis-Philippe Lampron, professeur de droit de l’Université Laval

Le poids politique que devra porter le gouvernement Trudeau pour son geste dépendra des conclusions du commissaire. Dans l’opinion publique, une majorité de Canadiens estime déjà qu’il ne pouvait faire autrement, selon un sondage de la firme Abacus publié la semaine dernière.

Des garde-fous nécessaires

La Loi sur les mesures d’urgence prévoit deux garde-fous : l’enquête publique et l’examen par un comité parlementaire formé de députés et de sénateurs. La commission Rouleau a davantage de pouvoirs, dont celui d’assigner des témoins à comparaître.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le juge Paul Rouleau présidant la Commission sur l’état d’urgence, le 31 octobre

« Nous avons eu beaucoup de difficulté à obtenir la divulgation du gouvernement de ce qu’il savait, quand il le savait et ce qu’il a fait pour le gérer », reconnaît le député néo-démocrate Matthew Green, l’un des coprésidents du comité parlementaire.

Il juge néanmoins que ce deuxième garde-fou est nécessaire, tout comme son collègue bloquiste Rhéal Fortin, qui partage la présidence du comité, et le sénateur conservateur Claude Carignan, l’un des vice-présidents.

C’est loin d’être parfait, notre comité mixte spécial, mais c’est quand même essentiel que les parlementaires aient ce droit de vérifier ce qui a été fait.

Le bloquiste Rhéal Fortin

« On parle de proclamer la Loi sur les mesures d’urgence, c’est le rôle du Parlement que de s’assurer que c’est fait correctement, conformément aux règles démocratiques », poursuit-il.

Le sénateur Carignan y voit un exercice complémentaire à l’enquête publique. « La commission Rouleau est limitée dans le temps, note-t-il. Elle va devoir produire son rapport et elle va peut-être devoir escamoter certains pans de la preuve par manque de temps. » Le comité parlementaire n’a pas cette contrainte. « Donc, on va pouvoir se servir de ce qui s’est fait à la commission Rouleau et ajouter des choses qu’elle n’aura pas eu nécessairement le temps d’approfondir », fait-il valoir.

La Commission sur l’état d’urgence dispose de 300 jours pour exécuter ses travaux. Le juge Rouleau compte remettre son rapport au Cabinet le 6 février. Les audiences se poursuivent jusqu’au 25 novembre.