Des organisations dénoncent la mesure de type « drapeau rouge » du projet de loi fédéral C-21 visant à resserrer le contrôle des armes à feu. Celles-ci doivent permettre à toute personne de s’adresser au tribunal afin de faire confisquer des armes pour des raisons de sécurité, mais ces groupes craignent que cela ait pour effet de déresponsabiliser les policiers.

« Il n’y a aucun soutien de la part d’organisations féministes reconnues de lutte contre la violence intime pour la mesure de "drapeau rouge" proposée par C-21 », peut-on lire dans le mémoire de PolySeSouvient, présenté au Comité permanent de la sécurité publique et nationale le mois dernier.

Lisez le mémoire de PolySeSouvient

« Il est irréaliste de s’attendre à ce que les victimes aient les moyens et le courage d’aller en justice alors qu’elles sont confrontées aux défis simultanés d’échapper à la violence, de s’occuper des enfants et de conserver leur emploi », ajoute-t-on.

Comme d’autres groupes favorables à un contrôle plus serré des armes à feu, PolySeSouvient souligne qu’il est déjà possible de s’adresser aux policiers ou au bureau du contrôleur des armes lorsque des risques sont détectés.

Par conséquent, « ça pourrait être préjudiciable pour des victimes dans la mesure où certains policiers pourraient avoir le réflexe, au lieu d’enquêter sur la demande qui leur est faite, de dire aux victimes : "Vous pouvez aller en cour, allez-y" », avance Louise Riendeau, du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale.

Selon Mme Riendeau, qui a témoigné jeudi dernier devant le comité, cela s’est déjà vu dans le cadre d’autres recours du genre, comme les demandes d’engagement de ne pas troubler l’ordre public prévues au Code criminel.

On a vu des fois où les policiers ne faisaient pas enquête et n’acheminaient pas la demande au procureur, mais disaient plutôt aux victimes : "Demandez à votre avocat en matière civile de faire cette demande-là." Si ça risque d’arriver, ça va nuire plus que ça va aider.

Louise Riendeau, du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale

Cette mesure est une idée que « de nombreux groupes avancent depuis des années », assure le cabinet du ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, citant les Médecins pour un meilleur contrôle des armes à feu et Heidi Illingsworth, ancienne ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels.

Inquiétudes partagées

Si de nombreux autres groupes appuient globalement le projet de loi, ils partagent les inquiétudes de Mme Riendeau.

« Notre position, c’est qu’on ne peut pas se fier [à] cette mesure pour assurer la sécurité des femmes », dit Suzanne Zaccour, responsable de la réforme féministe du droit au sein de l’Association nationale Femmes et droit (ANFD), qui n’a pas été invitée à témoigner. Ce « processus de demande ex parte est probablement risqué et peu pratique pour les femmes dont la sécurité est menacée », indique l’Association dans un mémoire publié cette semaine et appuyé par une quinzaine d’organisations de partout au pays.

Voyez le mémoire publié cette semaine

L’ANFD souhaite plutôt que d’autres mesures soient renforcées afin que les armes soient retirées le plus rapidement possible des mains des personnes dangereuses.

« Les lois "drapeau rouge" ne suffisent pas — nous devons créer un climat où les victimes et les survivantes se sentent protégées et habilitées à les utiliser », convient Alexander Cohen, directeur des communications du ministre Marco Mendicino. Il rappelle que ce dernier a demandé à la commissaire de la GRC de travailler avec les contrôleurs des armes à feu afin qu’ils interviennent rapidement lorsque nécessaire.

Dans sa mouture actuelle, C-21 permet à un propriétaire d’arme à feu dont le permis est révoqué de la remettre aux policiers ou de s’en départir autrement. Ce dernier « pourrait donner ou vendre son arme à son ami ou à son frère, étant entendu qu’il y aurait toujours accès », s’inquiète l’ANFD dans son mémoire.

Il autorise aussi les juges à rendre les armes aux individus dangereux dans certaines circonstances pour qu’ils s’en départent dans un délai de 30 jours, ce qui « va à l’encontre de l’esprit et de l’intention du projet de loi, soit de garder les armes à feu loin des agresseurs violents et dangereux », dénonce l’Association. Elle préconise plutôt « un retrait rapide et sûr par les autorités et/ou la remise à un. e agent. e de la paix ».

L’ANFD veut également supprimer du projet de loi une exemption qui permet la délivrance d’un permis à une personne qui a commis des actes de violence familiale, si la révocation « équivaut à une interdiction de travailler dans son seul domaine possible d’emploi ».

Un tel emploi « n’est jamais la seule vocation qui s’offre à un individu », fait valoir l’ANFD, qui souhaite aussi que soient précisés les délais de retrait des armes et les libellés relatifs aux motifs de révocation d’un permis, entre autres.

« Nous sommes là pour vous », disent les directeurs de police du Québec

À deux semaines des 12 jours d’action contre la violence faite aux femmes, l’Association des directeurs de police du Québec (ADPQ) encourage les victimes de violence conjugale à dénoncer leurs auteurs et assure que les corps policiers du Québec ont des outils pour intervenir. Mercredi, l’ADPQ a convoqué les médias à la Place Bell de Laval pour mettre en lumière le soutien que peuvent apporter les policiers aux victimes de violence conjugale.

« Nous sommes là pour vous », a déclaré le directeur du Service de police de Laval, Pierre Brochet. L’ADPQ a également affirmé que, depuis la dernière année, l’ensemble des corps policiers du Québec se dotent d’unités spécialisées en violence conjugale. « On vient changer notre champ d’intervention où on était peut-être très centrés sur l’arrestation de l’agresseur. Là, on se concentre sur la victime. On s’assure d’être avec elle jusqu’au bout de l’intervention », a ajouté le directeur du Service de police de Terrebonne, Marc Brisson.

Delphine Belzile, La Presse

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