Le programme de bourses de 1,7 milliard lancé en grande pompe par le gouvernement Legault en 2021 pour lutter contre la pénurie de main-d’œuvre semble avoir un effet limité dans les secteurs clés de la santé et de l’éducation, où des universités observent un recul du nombre d’étudiants, malgré un bonus de 2500 $ par session versé aux étudiants à temps plein.

« Pour l’année en cours, nous n’avons pas observé un effet des bourses sur les inscriptions. Il faut dire que plusieurs programmes admissibles atteignent, année après année, leur capacité d’accueil », indique Isabelle Huard, conseillère en relations médias à l’Université de Sherbrooke.

Dans cette université, le nombre d’inscriptions n’a presque pas bougé entre l’automne 2020 et l’automne 2022. Et pour le seul programme qui a connu une hausse marquée d’étudiants, le baccalauréat en service social, cela « découle du fait que nous avons augmenté, l’an dernier, la capacité d’accueil du programme, qui est passée de 85 places à 120 places », note Mme Huard. Mais d’autres établissements ont vécu des baisses.

À l’Université de Montréal, le nombre d’étudiants inscrits à temps plein dans les programmes ciblés par le gouvernement du Québec a reculé : de 4739 étudiants en 2020, ils sont 4450 en 2022.

Les baisses les plus marquées : en enseignement (1850 aujourd’hui, contre 2000 deux ans plus tôt) et en soins infirmiers (de 1078 à 829 aujourd’hui).

Pourtant, tous ces étudiants, lorsqu’ils termineront avec succès leur session d’automne, auront droit à une bourse de 2500 $.

L’UdeM constate cependant une hausse des admissions dans les technologies de l’information.

Hausse à Laval

À l’Université Laval, c’est également en génie et en technologie de l’information qu’une augmentation est enregistrée. Le nombre d’étudiants au baccalauréat en informatique y est passé de 300 à 459 entre 2021 et 2022, et les inscriptions aux programmes de génie informatique, de génie logiciel, de génie mécanique et de génie physique sont aussi en hausse.

Mais même si l’Université Laval voit une hausse de ses étudiants ayant accès aux bourses Perspective Québec (+ 902), y compris en enseignement, elle observe tout de même une petite baisse de ses effectifs en soins infirmiers.

À l’Université du Québec en Outaouais, on assiste à une légère diminution des cohortes entre 2020 et 2022 en enseignement et en santé. À l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, le nombre d’étudiants inscrits à temps complet dans les programmes admissibles aux bourses est passé de 1021 en 2020 à 830 en 2022. « Les baccalauréats en création de jeux vidéo, en création en 3D, en sciences infirmières (DEC-BAC) et en travail social sont à capacité d’accueil limitée, ce qui explique notamment la baisse pour le baccalauréat en sciences infirmières de l’automne 2020 à l’automne 2022 », explique Stéphanie Duchesne, directrice du service des communications et du recrutement de l’établissement.

« Changer le visage du marché de l’emploi »

Le gouvernement Legault avait annoncé en grande pompe ce généreux programme de bourses à l’automne 2021. « Le programme de bourses Perspective Québec a le potentiel de changer le visage du marché de l’emploi au Québec et de contribuer au développement de notre société », affirmait le ministre de l’Emploi d’alors, Jean Boulet.

Doté d’un budget de 1,7 milliard sur 4 ans, soit 425 millions par année, il fait partie de l’Opération main-d’œuvre du gouvernement Legault. « Porté conjointement par plusieurs ministères, [il] se veut une réponse au manque de main-d’œuvre dans certains domaines considérés comme prioritaires et stratégiques pour l’avenir du Québec ».

Le programme permet aux étudiants au baccalauréat de toucher 2500 $ par session et aux élèves de certaines techniques collégiales de toucher 1500 $ par session. Seul un certain nombre de programmes, en santé, en éducation et en technologie de l’information, particulièrement, sont ciblés par l’État.

Quel impact ?

Pier-André Bouchard St-Amant est professeur adjoint à l’École nationale d’administration publique (ENAP) et expert en économie des institutions publiques. Le directeur du Groupe de recherche en économie publique appliquée va étudier l’efficacité du programme de bourses durant les prochaines années.

Il estime que généralement, « lorsqu’on subventionne un programme d’études, ça a un impact. » Avant de rendre son verdict, il doit faire une distinction entre la tendance normale et l’effet des bourses sur la décision des étudiants.

La chute des inscriptions dans les programmes de soins infirmiers aurait peut-être été plus importante sans les bourses, indique-t-il.

Il se questionne cependant sur la décision du gouvernement de subventionner des programmes qui affichent déjà complet : « Tu donnes de l’argent à des gens qui n’auraient pas changé leur décision, subvention ou non. Donner des bourses à des gens déjà inscrits dans un programme où il y a déjà une limite d’inscriptions, c’est moins utile », souligne-t-il.

Promotion tardive

Du côté des cégeps, on estime qu’il est trop tôt pour vérifier si les bourses attirent les foules. Bernard Tremblay, PDG de la Fédération des cégeps, souligne que la promotion pour ce programme de bourses a été faite « très tardivement », après la date limite du 1er mars 2022 pour les demandes d’admission.

Il estime qu’un programme de bourses est un « élément clé » de l’action gouvernementale pour lutter contre la pénurie de main-d’œuvre, mais que d’autres solutions devront être trouvées. Il craint par exemple que certains programmes sans bourse soient boudés, et qu’il y ait un simple phénomène de déplacement.

M. Tremblay aurait été favorable à une réflexion plus large. « Si on a des problèmes de recrutement d’étudiants en technologie de l’information, peut-on regarder ce qui se passe sur le terrain ? Il faudrait regarder la capacité de nos étudiants d’avoir les préalables pour rentrer dans ces formations, par exemple en encourageant les élèves du secondaire en mathématique », souligne-t-il.