Le départ de Dominique Anglade n’a guère de précédents. Bien sûr, dans tous les partis, des chefs ont décidé de jeter l’éponge après une défaite électorale. Claude Ryan, Daniel et Pierre Marc Johnson, Bernard Landry et André Boisclair ont aussi démissionné comme chefs de l’opposition.

Mais dans chacun de ces cas, les mêmes ingrédients étaient réunis.

Une défaite électorale, une erreur de jugement, une prise de position qui vous fait perdre la confiance du caucus. Finalement, la présence en coulisse d’un prétendant susceptible de vous remplacer au pied levé.

Cette fois, c’est différent. Anglade a mordu la poussière, perdu toute autorité après son accrochage avec sa députée Marie-Claude Nichols, qui a publiquement réclamé son départ.

Mais le « plan B » n’est pas évident. Personne n’est vu comme un successeur naturel.

PHOTO ROBERT NADON, ARCHIVES LA PRESSE

Claude Ryan et Pierre Elliott Trudeau, en 1980

En 1982, Claude Ryan quittait son poste de chef libéral. Il n’avait pas su se faire apprécier des militants, expliquait lundi Jean-Claude Rivest, alter ego de Robert Bourassa. Ces militants avaient cherché une caution intellectuelle auprès du directeur du Devoir, qui avait pourtant appuyé le Parti québécois en 1976. Une dizaine de ses députés, dont Lise Bacon et Michel Gratton, avaient voté contre leur chef à l’Assemblée nationale, résume Ronald Poupart, témoin de cette période du Parti libéral du Québec (PLQ). Ils avaient refusé de blâmer Pierre Trudeau et son rapatriement constitutionnel. Un vétéran, Raymond Mailloux, avait publiquement réclamé son départ.

Ingrédient important : « Robert Bourassa lui soufflait dans le cou », se souvient le vétéran libéral Pierre Bibeau. M. Bourassa attendait son heure, rencontrait des militants partout au Québec. « Quand Raymond Garneau nous a fait savoir qu’il ne serait pas dans la course en 1983, Bourassa m’avait dit : “C’est réglé, je vais reprendre la direction du PLQ” », se souvient Pierre Bibeau.

Ancien ministre des Finances, M. Garneau avait tenté sa chance contre M. Ryan en 1978. « Mais comme j’étais sorti vivant de cette défaite, une dette de campagne de 40 000 $ avait été épongée par un évènement-bénéfice, je ne voulais pas risquer ma vie à nouveau », a résumé lundi M. Garneau. « L’épisode de la succession de Ryan m’avait valu un dîner au 24 Sussex, Pierre Elliott Trudeau voulait que je me lance dans la course », se rappelle-t-il.

Johnson et Parizeau

Au départ de René Lévesque, en 1985, Pierre Marc Johnson était le successeur évident. Pourtant, M. Johnson a aussi décidé de démissionner, en novembre 1987, deux ans après une défaite électorale.

Son départ avait surpris bien des observateurs, mais surtout son successeur évident, Jacques Parizeau.

« Le PQ n’avait guère de chances de remporter l’élection de 1989, on voulait maintenir une sorte d’instabilité pour Johnson, mais son départ nous a surpris », confie aujourd’hui Jean Royer, longtemps l’homme de confiance de M. Parizeau.

Le soir de la démission, les bulletins télévisés montrent un Jacques Parizeau décontenancé qui refuse de commenter, prétextant qu’il devait donner son cours à HEC. L’ancien ministre des Finances attaquait régulièrement M. Johnson, qui ramenait le Parti québécois (PQ) à un parti de « cul-de-jatte ».

À la mort de M. Lévesque, le 1er novembre 1987, M. Johnson est en France, mais décide de ne pas hâter son retour. Le député Gérald Godin réclame publiquement le départ de M. Johnson. Jacques Parizeau devient chef, sans adversaire, et sera défait aux élections de septembre 1989… comme il l’avait prévu.

Successions rapides

Le départ de Daniel Johnson de la direction du PLQ est particulier. Il avait franchi avec succès, à 80 %, un vote de confiance des militants, mais comprenait bien que devant un Lucien Bouchard extrêmement populaire, il n’avait guère de chances de l’emporter aux élections. Beaucoup de députés critiquaient son leadership sous le couvert de l’anonymat. Quand il est parti, en mars 1998, la suite des choses était prévue comme du papier à musique. Son émissaire Pietro Perrino avait testé l’intérêt de Jean Charest à faire le saut au provincial. « Un mois avant l’annonce de son départ, il y avait eu des rencontres », les libéraux Pietro Perrino, Benoît Savard et Richard Mimeau avaient discuté avec François Pilote, l’émissaire de Jean Charest. « C’est Daniel Johnson qui avait fait preuve d’abnégation. Il comprenait que le PLQ avait plus de chances de gagner avec Charest qu’avec lui », a raconté lundi M. Mimeau.

Le poste de chef de l’opposition est difficile à occuper. Les gros canons du caucus ne sont pas astreints à la solidarité ministérielle.

Bernard Landry a eu quelques faux pas, notamment en déclarant : « J’ai fait mon temps » au lendemain de sa défaite contre Jean Charest en avril 2003. Quelques décisions mineront la solidarité du parti. Celle notamment de reconnaître le « SPQ libre », une phalange plus radicale, qui créait des turbulences aux conseils nationaux du parti. Son autorité sur le caucus était diminuée, la députée de Pointe-aux-Trembles, Nicole Léger, a réclamé son départ – tout le monde savait déjà qu’elle était la voix de Pauline Marois, qui attendait son heure. François Legault contribua aussi puissamment à déstabiliser M. Landry. Quand il est parti, Pauline Marois, André Boisclair et Gilles Duceppe étaient dans la salle d’attente.

M. Boisclair revenait d’un bref séjour dans le privé. Sa jeunesse lui a procuré un avantage certain sur Pauline Marois, qu’il a facilement coiffée au leadership de 2005. Mais son séjour comme chef de l’opposition a été laborieux, devant un Jean Charest qui est parvenu à le définir comme « immature ». À bout de nerfs, il a lancé au premier ministre : « Vous n’êtes pas mon père ! »

Le pire était à venir. En campagne électorale, fin 2007, il a déclaré que même minoritaire, le PQ enclencherait la mécanique référendaire. Le PQ a perdu son statut d’opposition officielle aux mains de Mario Dumont et de l’Action démocratique du Québec. Comme Dominique Anglade, M. Boisclair a quitté la direction du PQ avant même d’être revenu à l’Assemblée nationale. Mais comme tous les autres, il y avait quelqu’un pour prendre sa place au pied levé, Pauline Marois. Gilles Duceppe y avait songé, mais avait décliné, une décision qu’il regrette encore.