(Ottawa) Plusieurs campagnes de financement ont permis au « convoi de la liberté » d’amasser plus de 24 millions grâce au financement participatif, à des virements et des collectes de fonds en cryptomonnaie. Seulement une fraction de cet argent a été remise aux camionneurs pendant la manifestation, puisqu’une bonne partie des fonds avait été gelée.

L’argent était souvent déposé dans des comptes bancaires personnels, ce qui a soulevé des interrogations de la part de banques et de plateformes de sociofinancement. La plupart des fonds ont fini par être remboursés aux donateurs. Une plus petite partie a été mise sous séquestre.

Dan Sheppard, l’un des avocats de la Commission sur l’état d’urgence, a dressé le portrait jeudi des diverses campagnes de financement mises sur pied pour soutenir le convoi de camions qui a paralysé le centre-ville d’Ottawa pendant trois semaines. Cette enquête publique doit déterminer si le recours historique du gouvernement fédéral à la Loi sur les mesures d’urgence pour y mettre fin était justifié.

Des sommes inespérées

L’une des organisatrices de la manifestation, Tamara Lich, avait lancé une campagne de sociofinancement sur le site GoFundMe le 14 janvier, soit deux semaines avant l’arrivée des premiers camions au centre-ville de la capitale fédérale. Elle acceptait aussi les transferts d’argent par courriel parce que certaines personnes ne voulaient pas donner à un site de financement participatif.

« Je m’attendais à avoir peut-être 20 000 $ en dons et je sentais que j’allais être capable de les gérer avec mes minimes compétences en comptabilité », a-t-elle affirmé lors de son témoignage, jeudi. La limite pour cette campagne de financement avait toutefois été fixée à 100 000 $ et un comité avait été créé pour gérer ces fonds de façon transparente. Ce sont 10 millions qui ont finalement été amassés.

J’ai été époustouflée. Nous ne l’avions pas vu venir, nous ne nous attendions pas à avoir autant de soutien.

Tamara Lich, organisatrice du « convoi 
de la liberté »

Elle a affirmé que la gestion d’une telle somme la rendait nerveuse. Des « vautours » l’approchaient fréquemment pour avoir leur part. Des 10 millions, 1,4 million a été déposé dans son compte d’épargne personnel où la signature d’un autre organisateur avait été ajoutée. Seulement 26 000 $ ont été distribués aux camionneurs parce que la Banque TD avait gelé les fonds.

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Tamara Lich

De multiples plateformes

Une autre campagne a été lancée sur la plateforme américaine de sociofinancement GiveSendGo après que GoFundMe a gelé les fonds pour rembourser les donateurs. Elle a également permis d’amasser près de 10 millions de dollars américains, dont presque la moitié provenaient des États-Unis et environ 500 000 $, d’autres pays. Une somme indéterminée a été déposée dans un compte créé sur la plateforme de paiement Stripe par un Américain du nom de Jacob Wells et 3,7 millions de dollars canadiens ont été déposés dans le compte Stripe de Chad Eros, le trésorier du « convoi de la liberté ». La plateforme de paiement a mis sous séquestre 3,4 millions après que la cour a émis une injonction pour geler les fonds du « convoi de la liberté ».

Adopt-A-Trucker, une autre campagne de sociofinancement sur la plateforme américaine GiveSendGo, avait été lancée le 18 janvier par Chris Garrah, un autre participant du « convoi de la liberté ». Il recevait également des transferts d’argent par courriel, qui ont totalisé un peu plus de 30 000 $. Près de 800 000 $ ont été amassés sur GiveSendGo, dont un peu plus de 330 000 $ ont été déposés dans son compte de la Banque RBC. Un peu plus de 40 % des fonds provenaient des États-Unis. Des retraits de 200 000 $ ont été effectués, dont 150 000 $ en argent comptant. Un peu plus de 10 000 $ ont servi à payer des chambres d’hôtel.

Une personne nommée Serge sollicitait également des dons en cryptomonnaie pour Adopt-A-Trucker. D’autres collectes de fonds en cryptomonnaie avaient été lancées par divers groupes. La Commission en a identifié trois. Outre Adopt-A-Trucker, il y avait Freedom Convoy Token, lancée le 13 février par Patrick King et qui n’a pas fonctionné, et Honk Honk Hodl.

En fin de compte, les manifestants ont reçu l’équivalent de 8000 $ en bitcoins de Honk Honk Hodl. Ce compte avait été lancé par un homme du nom de Nicholas St. Louis. Benjamin Dichter, le premier témoin entendu jeudi, a expliqué qu’il avait aidé à coordonner et à promouvoir cette collecte de fonds en cryptomonnaie.

Protocole pour renverser le gouvernement

Le camionneur James Bauder, fondateur de l’organisation Canada Unity, a livré un témoignage décousu et émotif en après-midi. Il est l’un des auteurs d’un protocole d’entente pour renverser le gouvernement de Justin Trudeau avec l’aide de la gouverneure générale et du président du Sénat. Selon le scénario échafaudé par Canada Unity, Mary Simon et George Furey auraient formé un comité avec l’organisation pour gouverner le pays.

« C’est bouleversant quand on voit le gouvernement complètement enfreindre toutes les lois, a-t-il dit. Le Sénat est notre dernier espoir. »

Canada Unity exigeait la levée de toutes les mesures sanitaires contre la COVID-19 et de l’obligation vaccinale imposée aux camionneurs qui devaient traverser la frontière canado-américaine, considérées comme « une violation des droits de la personne ».

Il a par la suite affirmé qu’il ne s’agissait que d’un bout de papier, qu’il n’a jamais incité les gens à commettre des actions violentes et a accusé les médias d’avoir mal rapporté son contenu.

Dans sa déclaration écrite à la Commission, il écrit que le premier ministre Justin Trudeau et quatre de ses ministres avaient commis un acte de trahison et que son protocole d’entente avait été signé par plus de 387 000 Canadiens.

Plusieurs organisateurs du « convoi de la liberté » ont pris leurs distances par rapport à M. Bauder, qui a soutenu que Dieu lui avait demandé d’organiser un convoi de camions. Tamara Lich a affirmé qu’elle le connaissait peu et qu’elle avait peu prêté attention à son protocole d’entente.

Avec La Presse Canadienne