(Ottawa) Le gouvernement canadien punit le régime iranien et le Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI) pour leur « barbarie », entre autres en décrétant un interdit de territoire permanent pour plus de 10 000 officiers et hauts gradés de Téhéran. Il faudra toutefois attendre un moment avant que les sanctions ne soient appliquées, prévoit un spécialiste.

Le premier ministre Justin Trudeau a annoncé vendredi, en compagnie de la vice-première ministre Chrystia Freeland, cette mesure prise en vertu de la disposition « la plus rigoureuse » de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

Concrètement, cela veut dire que « 50 % des plus hauts dirigeants du CGRI, donc plus de 10 000 officiers et hauts gradés seront interdits au Canada pour toujours », a expliqué le premier ministre lors d’une conférence de presse, en insistant sur la sévérité du châtiment.

« C’est une mesure qui été utilisée seulement dans les circonstances les plus graves contre des régimes ayant perpétré des crimes de guerre et des génocides, comme en Bosnie et au Rwanda », a-t-il fait valoir.

Prenant la parole après lui dans le foyer de la Chambre des communes, la vice-première ministre a taxé l’État iranien d’être « répressif, théocratique et misogyne », les hauts gradés du CGRI de « terroristes », et le groupe lui-même « d’organisation terroriste », en pesant chacun des mots qu’elle lâchait au micro.

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

La vice-première ministre du Canada, Chrystia Freeland

En plus de cette sanction-phare, Ottawa a l’intention « d’élargir massivement les sanctions imposées en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales » et de renforcer sa capacité « à lutter contre le blanchiment d’argent et les activités financières illicites », a indiqué Justin Trudeau.

Le Parti conservateur insatisfait

L’annonce de vendredi ne répond pas à la demande spécifique du Parti conservateur, qui réclame à cor et à cri l’inscription du CGRI à la liste des entités terroristes du Canada. La formation le fait depuis des années, mais les évènements des dernières semaines en Iran les ont poussés à monter le ton.

« Aujourd’hui, les libéraux ont annoncé qu’ils refusaient toujours d’inscrire le CGRI sur la liste des entités terroristes. Il est répréhensible qu’ils refusent de franchir cette étape », a dénoncé le député Pierre Paul-Hus dans une déclaration écrite.

Le premier ministre Trudeau a plaidé que c’était la voie à suivre. Le Code criminel canadien, a-t-il soutenu, n’est pas « le meilleur outil » pour châtier les États et des entités d’État. Il a ajouté qu’Ottawa allait continuer à se pencher sur d’autres options, et qu’aucune n’était écartée.

Le gouvernement doit donner davantage de détails sur le mécanisme la semaine prochaine. En ce qui a trait à l’interdiction de territoire pour motif d’« atteinte aux droits humains ou internationaux », il invoque la section 35 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

Celle-ci vise quiconque « occupe un poste de rang supérieur […] au sein d’un gouvernement qui, de l’avis du ministre, se livre ou s’est livré au terrorisme, à des violations graves ou répétées des droits de la personne ou commet ou a commis un génocide, un crime contre l’humanité ou un crime de guerre ».

« Ce ne sera pas simple », concède Trudeau

Le politologue Thomas Juneau, spécialiste de l’Iran, estime que le gouvernement a pris la bonne décision en choisissant de ne pas inscrire le bras armé du régime à la liste des entités terroristes. « Faire ça, d’un point de vue symbolique, ce serait percutant, mais en pratique, on ne serait pas capable d’implanter ça », a-t-il réagi.

Il faudra quand même du personnel pour appliquer les sanctions, et pas n’importe quel, a insisté le professeur professeur agrégé en Affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa : « On ne peut pas engager des étudiants et s’attendre à ce qu’ils sachent faire la job dans deux semaines ».

En réservant une enveloppe de 76 millions pour les recruter et les former, les libéraux mettent les chances de leur côté, mais « ça va prendre plusieurs mois pour embaucher des personnes » et leur attribuer une cote de sécurité assez élevée, et « en ce moment, il y a un énorme retard dans l’attribution », a ajouté M. Juneau.

À ce sujet, Justin Trudeau a semblé vouloir jouer la carte de la franchise.

« Ce ne sera pas simple, a-t-il lâché. Ce sont des mesures rarement utilisées par le Canada, mais nous allons faire le travail, parce que c’est important […] que leur gouvernement soit là pour [contrer] ce régime barbare et soutenir les femmes iraniennes. »

Dans le camp néo-démocrate, les mesures dévoilées vendredi par Ottawa ont été reçues avec satisfaction. La députée Heather McPherson a cependant reproché aux libéraux leur lenteur à aller de l’avant, et les a exhortés à « s’assurer que cela commence immédiatement, et non dans plusieurs mois ».

Le Bloc québécois n’a pas fourni de réaction, vendredi.

Un mouvement de protestation fait rage en Iran depuis que la jeune Mahsa Amini, 22 ans, a été battue à mort à Téhéran pour cause d’exposition de mèches de cheveux en public. Il a fait tache d’huile sur la planète : des artistes françaises ont exprimé leur solidarité avec les Iraniennes en se coupant des mèches de cheveux.

La députée suédoise Abir Al-Sahlani a également participé au mouvement en coupant une de ses mèches de cheveux en plein discours au Parlement européen.