« Il est temps qu’ils partent. » Le premier ministre Justin Trudeau a haussé le ton jeudi contre les dirigeants de Hockey Canada, que plusieurs commanditaires majeurs ont déjà lâché dans la foulée de sa gestion critiquée d’allégations d’agression sexuelle mettant en cause des joueurs juniors. Canadian Tire et Telus se sont ajoutés au lot.

« Le fait qu’ils ne comprennent pas que les gens ont complètement perdu confiance dans ce qu’ils sont en train de faire, ça prolonge le mal. On ne voudrait pas voir disparaître Hockey Canada au complet, on peut tout simplement remplacer les gens et la culture », a affirmé M. Trudeau lors d’une mêlée de presse jeudi matin à Ottawa.

M. Trudeau a aussi soutenu qu’« à un moment donné, les gens vont se réveiller ». « On a perdu confiance en Hockey Canada. Il est temps qu’ils partent », a-t-il insisté.

Questionné par les journalistes pour savoir s’il fallait créer une nouvelle organisation de toutes pièces, le premier ministre a répondu jeudi avec ironie que s’il faut mettre sur pied une autre fédération « qui s’appelle Canada Hockey, on va le faire », afin de « s’occuper de nos jeunes ».

Ces commentaires surviennent alors que plusieurs commanditaires majeurs de la fédération sportive, dont Tim Hortons, la Banque Scotia et Telus, ont quitté le navire mercredi et jeudi, se retirant de tous les programmes masculins pour la prochaine saison 2022-2023. « Nous sommes profondément découragés par le manque d’action et d’engagement de Hockey Canada pour changer sa culture interne », a fait savoir Telus dans une déclaration écrite, jeudi matin. Sobey’s et SkipTheDishes ont aussi rompu leurs liens avec Hockey Canada, plus tard dans la journée.

« Résister à des changements significatifs »

Après « mûre réflexion », Canadian Tire, un partenaire de niveau « international » de Hockey Canada, a aussi annoncé jeudi avoir « pris la décision de mettre fin à son partenariat » de façon permanente avec la fédération sportive.

« À notre avis, Hockey Canada continue de résister à des changements significatifs et nous ne pouvons plus avancer avec confiance. Canadian Tire Corporation (CTC) est fière de son engagement envers le sport et continuera d’investir dans notre sport national bien-aimé en redirigeant notre soutien vers des organisations liées au hockey qui correspondent mieux à nos valeurs », a indiqué l’entreprise dans une déclaration en anglais.

« Le Respect Group, qui se concentre sur la prévention de l’intimidation, des abus, du harcèlement et de la discrimination, est l’une des nombreuses organisations où les fonds seront redirigés. Nous nous engageons à soutenir le hockey et le sport inclusif et sûr pour tous les Canadiens », a poursuivi la direction de Canadian Tire.

Des fédérations provinciales se prononcent

Ce coup dur pour Hockey Canada s’ajoute à la volonté de Hockey Québec et de la Fédération ontarienne de hockey de retenir le financement qu’elles lui versent. Hockey Québec a été la première fédération provinciale à affirmer qu’elle retiendrait les frais de participation de 3 $ que les joueurs versent chaque année à Hockey Canada. La principale fédération ontarienne avait aussi fait part de cette intention dès le mois de juillet.

Leur décision a été applaudie par les élus fédéraux. La ministre des Sports, Pascale
St-Onge, espère d’ailleurs que d’autres fédérations provinciales suivront leur exemple. « La meilleure chose à faire, c’est de remplacer les dirigeants le plus rapidement possible, de travailler à reconstruire l’organisation avec une nouvelle culture, avec de nouvelles pratiques qui protègent les joueurs, qui protègent aussi les membres du public et qui protègent les femmes », a-t-elle soutenu jeudi, alors que les conservateurs accusaient le gouvernement Trudeau d’avoir voulu « étouffer » l’affaire.

On ne lâchera pas. Hockey Canada doit être imputable des agressions sexuelles au sein de son organisation.

Pascale St-Onge, ministre fédérale des Sports

Jeudi, la fédération de la Nouvelle-Écosse a annoncé à son tour un gel du transfert des fonds à Hockey Canada, disant qu’elle avait « perdu confiance » en cette organisation. Le premier ministre de la Nouvelle-Écosse, Tim Houston, a de plus fait savoir qu’il voulait voir d’importants changements chez Hockey Canada avant d’autoriser la tenue du Championnat du monde de hockey junior de 2023, qui doit se tenir en décembre et janvier dans les villes de Halifax et de Moncton, au Nouveau-Brunswick.

Le conseil d’administration de Hockey Manitoba, lui, a dit jeudi « appuyer l’appel des députés pour un changement à la direction de Hockey Canada au niveau du personnel senior et du conseil d’administration ». Hockey Manitoba réclame aussi « un examen du plan d’action de Hockey Canada afin d’inclure la consultation d’experts ou d’organisations travaillant dans le domaine de l’éducation, de la sensibilisation et de la prévention de la violence sexuelle ». Hockey Saskatchewan avait indiqué mercredi ne pas avoir de « commentaires » à formuler sur la décision de Hockey Québec, tandis qu’en Colombie-Britannique et en Nouvelle-Écosse, on dit « suivre de près la situation ».

Un problème « systémique »

Pour le professeur André Richelieu, de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM, spécialiste de la gestion de marque et de l’industrie du sport, il reste toutefois à savoir « si ces entreprises seront proactives et s’inscriront dans une réflexion plus large entourant la culture du hockey en particulier et du sport en général ».

« Il est en effet difficile de croire que ce phénomène est nouveau et qu’il se limite à Hockey Canada. Que se passe-t-il dans les autres fédérations ? Comment est-ce possible qu’on n’ait pas su, comme on le prétend, au sein notamment de certaines agences ? », s’interroge-t-il.

Le problème, dit-il, « m’apparaît systémique ». « On ne le réglera pas en se focalisant uniquement sur Hockey Canada et en faisant de ce dernier un bouc émissaire pour se donner bonne conscience. Le problème est sans doute beaucoup plus large », affirme M. Richelieu.

Avec la collaboration d’Alice Girard-Bossé, de Mayssa Ferah et de Simon-Olivier Lorange, La Presse