(Ottawa) Les politiciens canadiens doivent réfléchir à ce qui se passerait si le régime iranien tombait réellement, prévient un expert, alors que la réponse d’Ottawa aux manifestations en Iran devient un enjeu politique au Canada.

« Le temps est venu pour les Canadiens, et pour les peuples du monde entier qui défendent la liberté contre la tyrannie, de se rassembler, de libérer l’Iran et de promouvoir l’établissement d’un nouveau gouvernement démocratique dans ce pays », déclarait ainsi samedi le chef conservateur, Pierre Poilievre, lors d’une importante manifestation en banlieue de Toronto.

Des milliers d’Iraniennes et d’Iraniens sont descendus dans les rues après la mort, à la mi-septembre, de Mahsa Amini. La femme de 22 ans est morte deux jours après avoir été arrêtée par la « police des mœurs » iranienne parce qu’elle n’aurait pas porté son hijab de façon adéquate.

La réponse du gouvernement libéral et la position des conservateurs dans ce dossier commencent à se transformer en champ de bataille idéologique pour les deux adversaires à Ottawa.

Thomas Juneau, professeur d’affaires internationales à l’Université d’Ottawa et spécialiste de l’Iran, constate que libéraux et conservateurs veulent que tombe le régime des ayatollahs – les conservateurs étant plus directs là-dessus. Mais il estime que les deux partis devaient d’abord avoir une idée plus claire des groupes à soutenir sur le terrain.

Le professeur Juneau est d’avis que le régime actuel s’affaiblit continuellement, mais il ne s’attend pas à ce qu’il s’effondre incessamment. « Il n’y a pas d’opposition organisée prête à prendre le pouvoir si la République islamique devait tomber, a déclaré M. Juneau en entrevue. Les partisans d’un changement de régime, même s’ils font valoir un bon point, ont tendance à négliger ce facteur. »

Le député libéral Ali Ehsassi s’est adressé à la foule nombreuse à Richmond Hill, samedi. Les organisateurs de la manifestation soutiennent qu’ils avaient invité le premier ministre Justin Trudeau et la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly.

Dimanche soir, M. Trudeau a écrit sur Twitter que l’édifice du Centre au Parlement était illuminé aux couleurs du drapeau iranien, en soutien aux femmes iraniennes et aux manifestants dans ce pays.

Des sanctions contre 25 responsables

Lundi, une semaine après l’avoir promis, le gouvernement a annoncé des sanctions contre 25 responsables iraniens et neuf entités gouvernementales. Les sanctions canadiennes gèlent tous les avoirs que ces personnes et entités pourraient détenir au Canada et interdisent aux individus d’entrer au pays.

Ottawa affirme que les sanctions visent à cibler ceux qui appliquent des mesures répressives, violent les droits de la personne et propagent la propagande du régime.

Les sanctions visent notamment de hauts responsables de la Police des mœurs, des membres de l’état-major du Corps des Gardiens de la révolution islamique, et le ministre des Renseignements et de la Sécurité. Elles visent aussi Seyyed Mohammed Saleh Hashemi Golpayegani, secrétaire du quartier général du Bureau de la promotion du bien et de l’interdiction du mal, l’organe du régime qui établit les codes de moralité que la police iranienne applique.

Parmi les entités faisant l’objet de sanctions figurent la tristement célèbre prison iranienne d’Evin, où l’Iran détient et torture souvent des prisonniers politiques, et la cyberbranche du Corps des Gardiens de la révolution islamique.

Sur la Colline du Parlement, lundi, la ministre Joly a déclaré que d’autres sanctions sont à venir « très bientôt », ajoutant qu’Ottawa vise d’abord, intentionnellement, les plus hauts échelons.

« Pour nous, il est important de cibler particulièrement ces personnes, car ce sont ces personnes qui sont chargées de prendre des décisions qui affectent des millions de personnes en Iran et qui violent les droits de la personne », a-t-elle déclaré.

Les conservateurs ont également exhorté à plusieurs reprises Ottawa à donner suite à une motion que la Chambre des communes a adoptée en 2018 pour désigner comme groupe terroriste le Corps des Gardiens de la révolution islamique, qui fait partie de l’armée iranienne.

Le gouvernement a déclaré qu’il ne le ferait que si les agences de sécurité au Canada approuvaient cette décision.

Le professeur Juneau et d’autres experts font valoir que des sanctions économiques ciblées contre des individus sont plus faciles à appliquer que la désignation d’organisations entières en vertu de lois sur le terrorisme.