(Ottawa) Le gouvernement Trudeau redoute que certaines provinces profitent de son programme visant à planter 2 milliards d’arbres en une décennie pour augmenter les droits de coupe de l’industrie forestière sur leurs territoires respectifs.

Au moment où ce programme assorti d’une enveloppe de 3,16 milliards de dollars commence à peine à prendre son envol, le ministère fédéral des Ressources naturelles tente d’obtenir des engagements fermes de la part des provinces pour qu’elles résistent à la tentation d’augmenter les droits de coupe, a appris La Presse.

Des pourparlers en ce sens ont été lancés au début de l’année dans l’espoir d’obtenir de telles garanties, a-t-on confirmé au bureau du ministre des Ressources naturelles, Jonathan Wilkinson.

Des documents obtenus par La Presse en vertu de la Loi sur l’accès à l’information soulignent pour la première fois la crainte, voire la méfiance, qu’entretient le gouvernement fédéral à l’endroit des provinces dans ce dossier.

Car une hausse des droits de coupe accordés par les provinces aurait pour effet d’annuler les retombées environnementales que vise Ottawa en finançant un ambitieux programme de plantation d’arbres.

La note d’information d’une dizaine de pages obtenue par La Presse et datée du 25 janvier 2022 présentait des options au ministre Wilkinson pour obtenir des engagements des provinces. Mais le document est presque entièrement caviardé, hormis le tout premier paragraphe qui souligne « l’inquiétude » du Ministère.

« Avantages environnementaux »

Aux élections fédérales de 2019, les libéraux de Justin Trudeau ont promis de planter 2 milliards d’arbres durant la prochaine décennie dans le cadre de son plan de lutte contre les changements climatiques. Mais la lenteur à mettre en œuvre cette promesse a été vertement critiquée par les partis de l’opposition et les groupes environnementaux. À l’unisson, ils ont accusé le gouvernement Trudeau de faire des promesses sans lendemain en matière de protection de l’environnement.

« Les ententes entre le gouvernement du Canada et les provinces et territoires démontreront un engagement partagé envers les multiples objectifs du programme de plantation de 2 milliards d’arbres qui sont axés sur les avantages environnementaux durables comme la biodiversité et la réduction des GES », a indiqué Keean Nembhard, attaché de presse du ministre Wilkinson, dans un courriel à La Presse.

« Le programme n’a pas pour but de soutenir les projets permettant de régénérer les forêts dans le cadre d’activités forestières commerciales habituelles. En lieu et place, tous les projets financés doivent s’ajouter aux activités de plantation d’arbres actuellement requises par la loi. Le gouvernement du Canada craignait que cela ne soit pas clairement compris par tous les intervenants et le public », a ajouté M. Nembhard.

Le bureau du ministre Wilkinson a indiqué que les ententes seront publiées sur le site du Ministère au fur et à mesure qu’elles seront conclues.

« Les ententes de principe avec les provinces et les territoires reconnaîtront clairement les buts et les objectifs du programme. Ils établiront les résultats souhaités de part et d’autre », a aussi souligné l’attaché de presse du ministre.

Maigre part du total

En juin, M. Wilkinson a annoncé que seulement 30 millions d’arbres avaient été plantés durant la première année d’existence du programme, en 2021, soit 1,5 % du nombre total visé, mais que l’objectif était de planter de 250 à 350 millions d’arbres par année dès 2026.

Il précisait que plus de 150 espèces d’arbres avaient été plantées dans plus de 500 emplacements au pays. « Ces projets permettront de restaurer la nature, de favoriser la biodiversité, de créer des écosystèmes forestiers sur des terres détériorées par le feu, d’intensifier le captage de carbone et de créer des parcs et des espaces verts dans nos villes et aux alentours », avait-il aussi souligné.

Shane Moffatt, responsable de la campagne nature et alimentation chez Greenpeace, demeure convaincu que cette promesse a été faite dans le but de faire oublier l’achat du pipeline Trans Mountain quelques mois plus tôt.

Justin Trudeau a pris cet engagement pour la première fois en 2019 dans le but de verdir un gros pipeline sale. Donc, dès le début, cela semblait être plus un exercice politique qu’un engagement environnemental sérieux.

Shane Moffatt, responsable de la campagne nature et alimentation chez Greenpeace

« Et en fin de compte, nous assistons maintenant à un gâchis politique parce que le gouvernement a sauté avant de regarder ce qu’il y avait devant lui. C’était très prévisible », a soutenu M. Moffatt.

Il s’est toutefois dit encouragé de voir que « certaines personnes au sein du gouvernement réalisent que planter des arbres qui seront simplement coupés par l’industrie forestière n’est pas une solution aux crises du climat ou de la biodiversité. Ce ne serait qu’un cadeau à l’industrie ».

Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse