(Québec) Il est temps de mettre fin au « bar ouvert » qui a permis aux partis politiques de dépenser sans compter en publicités de toutes sortes plusieurs mois avant le déclenchement de la campagne électorale.

C’est du moins l’avis du Directeur général des élections du Québec (DGEQ), qui se montre préoccupé par cette question et estime qu’un resserrement de la loi électorale s’impose.

« Il faut donner une chance égale à tous », a rappelé Pierre Reid, au cours d’une longue entrevue récemment à La Presse Canadienne, réclamée en prévision de la campagne électorale, qui débutera à la fin du mois.

À ce propos, le souci de M. Reid, en poste depuis 2015, consiste à assurer l’équilibre entre le principe d’équité entre tous les partis, tout en préservant leur liberté d’expression.

Actuellement, il n’y a dans la loi « aucune règle qui s’applique » avant le début d’une campagne électorale, déplore-t-il, les partis pouvant donc multiplier les campagnes publicitaires et tenter d’influencer le résultat du vote, sans que ce soit comptabilisé dans les dépenses électorales qui, elles, sont plafonnées. Le risque qu’un parti, mieux nanti, soit avantagé, est bien réel.

« Il y a une préoccupation », à ce sujet, dit M. Reid, convaincu qu’il « faudrait prévoir un montant maximum » de dépenses publicitaires autorisées en période préélectorale, tant pour les partis eux-mêmes que pour les tiers, c’est-à-dire des entreprises ou organismes qui voudraient influencer le vote, les centrales syndicales ou les groupes de pression, par exemple.

Il s’agit là d’un des effets pervers des élections à date fixe : les partis et les tiers peuvent planifier leur stratégie publicitaire en fonction de la date des élections.

Il ne fait donc pas de doute dans l’esprit du DGE que l’heure est venue de « repenser » et « d’actualiser la loi électorale », notamment sur ces questions.

La CAQ aime la pub

Faut-il rappeler que tous les partis politiques ne sont pas tous égaux, en termes de moyens financiers ?

Sans vouloir étiqueter un parti en particulier, « la CAQ a fait beaucoup de publicité », constate le DGE. D’autres partis aussi y ont eu recours, mais depuis le printemps, le parti au pouvoir, la Coalition avenir Québec (CAQ), a été particulièrement actif, multipliant les campagnes publicitaires préélectorales vantant le bilan du gouvernement et surtout les mérites du premier ministre François Legault.

En mai, la CAQ a lancé une offensive publicitaire, se vantant notamment d’avoir fait adopter le projet de loi 96 sur la langue française. Problème : le projet de loi n’était toujours pas adopté. Le ministre responsable, Simon Jolin-Barrette, a dû s’excuser pour la bourde de son parti.

En juillet, la CAQ a fait l’objet de vives critiques sur les réseaux sociaux et de la part des partis d’opposition, en raison d’une publicité télévisée dans laquelle apparaissait une dame âgée de la Mauricie fan inconditionnelle de François Legault. Certains reprochaient au parti d’avoir sous-payé la dame, ce qu’a nié la direction du parti.

Fin juillet, le quotidien Le Soleil calculait qu’entre avril et juillet, la CAQ avait dépensé à elle seule sur Facebook et Instagram l’équivalent du budget publicitaire des quatre autres partis représentés à l’Assemblée nationale réunis, soit 38 500 $.

Le DGE dit vouloir exercer une « veille » et pousser sa réflexion sur le sujet, en vue d’accroître la reddition de comptes exigée des partis. Il préconise aussi de créer un registre qui consignerait le nom des tiers et leur rôle joué en période préélectorale.

Taux de participation en baisse

La présence de la publicité en dehors de la période électorale n’est pas le seul souci du DGE, loin de là. Le taux de participation aux élections générales, en baisse constante, est également une source de préoccupation pour lui.

En 1976, lors de l’élection pour la première fois du Parti québécois, il était de 85 %. Aux dernières élections, en 2018, il avait chuté à 66 %. C’est donc dire qu’un Québécois sur trois a choisi de ne pas exercer son droit de vote.

L’indifférence, voire le désaveu, de la population du Québec envers le processus démocratique frappe particulièrement les jeunes. Chez les 18-34 ans, on verra grosso modo un électeur sur deux hausser les épaules le jour du vote, bâiller d’ennui, renonçant à exercer son rôle de citoyen ne serait-ce qu’une fois tous les quatre ans.

Pourtant, rappellera le DGE, « tout est là » sur le plan des modalités pour faciliter l’exercice du droit de vote : aux bureaux de scrutin le jour du vote, par correspondance ou par anticipation. Les options sont multiples pour certaines clientèles : on peut voter dans les centres d’hébergement pour personnes âgées, à l’université, au cégep, dans les maisons de soins palliatifs, notamment.

Il n’y aura pas de miracle pour convaincre les électeurs de l’importance de se prévaloir du droit de vote, un jalon fondamental de la démocratie.

Pour espérer inverser la tendance, surtout chez les jeunes, M. Reid dit qu’il ne faut pas miser seulement sur le DGE, mais sur tous les acteurs de la société : la famille, l’école, les médias, l’entreprise.

Toujours dans l’optique de faciliter l’accès à la boîte de scrutin, on parle de plus en plus du vote électronique, mais le Québec n’est pas encore rendu là, explique M. Reid.

Sur le plan technique, il y a trop d’impondérables, trop de possibilités qu’un « bug » survienne au mauvais moment.

De toute façon, là où il a été implanté, le vote par internet a eu peu d’impact sur le taux de participation, précise-t-il.

Et si jamais survenait un pépin technique, cela minerait la confiance des électeurs envers le processus, ajoute-t-il, soucieux de tout mettre en œuvre pour éviter ce scénario.

À ce propos, pour implanter le vote électronique, il estime qu’il faudra y « aller de façon progressive, par étapes », au moyen de projets-pilotes avec des groupes ciblés.

Pourra-t-on voter en restant assis devant son ordinateur, ou en pianotant sur son cellulaire, lors du scrutin de 2026 ? Non. Tout au plus, prévoit-on quelques projets-pilotes pour tester cette avenue.