(Ottawa) Maintenant que l’Allemagne et le Canada ont vu que Vladimir Poutine « bluffait », comme les deux pays le font valoir depuis mercredi, il est temps de révoquer le permis qui permet l’importation et l’exportation de cinq autres turbines, a imploré l’ambassadrice d’Ukraine à Ottawa.

CE QU’IL FAUT SAVOIR

  • Le Canada a contourné ses sanctions contre la Russie le 9 juillet dernier en permettant l’envoi, vers l’Allemagne, de turbines destinées à un gazoduc russe.
  • Les partis de l’opposition à Ottawa ont tous dénoncé ce passe-droit du gouvernement Trudeau.
  • Le propriétaire du gazoduc Nord Stream 1 affirme ne pouvoir mettre la main sur la turbine, justifiant ainsi la réduction des livraisons de gaz naturel à l’Allemagne.
  • « Nous avons pu voir que Poutine bluffait », a déclaré la ministre des Affaires étrangères de l’Allemagne, Annalena Baerbock, de passage à Montréal.
  • L’Ukraine continue de déplorer la décision, un « dangereux précédent », selon elle.

L’envoyée du président Volodymyr Zelensky au Canada, Yulia Kovaliv, a commencé par distribuer des fleurs aux élus du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. Elle a dit toute sa gratitude pour l’appui indéfectible du gouvernement Trudeau à l’Ukraine. Le pot n’a pas tardé à suivre.

Car le nouvel argument d’Ottawa et de Berlin, selon lequel l’objectif de la décision d’approuver l’envoi d’une turbine qui était bloquée à Montréal était de montrer que le président Poutine « bluffait » et que le plan a été échafaudé par le Canada avec la complicité de ses alliés, ne tient pas la route, croit-elle.

« On le savait déjà, nous. C’est bien que les gouvernements de l’Allemagne, du Canada et l’Union européenne aient compris encore une fois que Poutine bluffe, a lâché l’ambassadrice. La turbine est dans une usine en Allemagne depuis presque trois semaines, et mercredi, Gazprom a dit très clairement qu’elle n’en voulait pas. »

« Alors pourquoi serait-il nécessaire d’envoyer les cinq autres turbines ? Il faut arrêter maintenant et éviter de laisser le loisir à Vladimir Poutine de continuer à faire du chantage à nos partenaires européens. […] Il faut révoquer ce permis », a insisté Yulia Kovaliv.

« Tactique » pour contrer la désinformation

À son côté, l’ambassadrice de l’Allemagne à Ottawa, Sabine Sparwasser, a plaidé, comme l’avait fait avant elle la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, qu’on a voulu voir si le président russe tomberait dans le piège qu’on lui a tendu en permettant l’envoi de la turbine. C’était une « tactique », a-t-elle dit.

Cela lui a attiré les foudres du conservateur Garnett Genuis, qui lui a reproché de « régurgiter » les lignes de communication du gouvernement canadien. « Vous semblez croire que les Allemands ne sont pas capables de faire des sacrifices. J’ai une opinion plus élevée d’eux », lui a-t-il lancé dans un long préambule sans question.

Il a plus tard affirmé que le Parti conservateur appuyait sans équivoque la demande de l’ambassadrice d’Ukraine – une requête aussi formulée par la présidente du Congrès des Ukrainiens Canadiens, Alexandra Chyczij. Dans le camp néo-démocrate, la députée Heather McPherson est du même avis.

« Il savait déjà que le bluff était là. Alors maintenant, ce que nous avons fait, c’est que nous avons affaibli notre régime de sanctions, nous avons affaibli la position du Canada en appui à l’Ukraine, et en même temps, on n’a pas aidé l’Allemagne à obtenir de l’énergie », a énuméré l’élue.

Qu’a gagné Berlin au juste, puisque les livraisons de gaz naturel à l’Allemagne par l’entremise du gazoduc Nord Stream 1 ont diminué de 20 % même si la société pourrait prendre possession de la turbine ? « Nous aurions perdu la guerre de la désinformation. La turbine est là, c’est clair », a soutenu l’ambassadrice Sparwasser.

Si Mélanie Joly avant elle ne s’était pas engagée à révoquer le permis d’une durée de deux ans, la diplomate n’a pour sa part pas fermé la porte à cette possibilité. « Nous allons en discuter dans un avenir rapproché. Il y a des étapes futures à prendre en compte », a-t-elle signalé.

Mercredi, sur son compte Twitter, la société Gazprom a réitéré qu’elle ne pouvait prendre possession de la turbine envoyée en Allemagne en provenance des installations montréalaises de Siemens, où elle était en réparation.

Les régimes de sanctions imposées par le Canada, l’Union européenne et le Royaume-Uni, de même que les disparités entre la situation actuelle et les obligations contractuelles existantes de Siemens, font en sorte qu’il est impossible de faire venir la turbine 073 à la station de compression de Portovaïa.

Gazprom, société pétrolière russe, sur Twitter

Le chancelier d’Allemagne, Olaf Scholz, ne fait pas mystère de son désir de collaborer à des projets de gaz naturel liquéfié (GNL) au Canada pour faire le plein chez lui. Il doit rendre visite au premier ministre Justin Trudeau plus tard ce mois-ci afin de discuter de possibles accords énergétiques commerciaux.

Des employés ukrainiens laissés à eux-mêmes ?

Un autre dossier s’est invité à la table du comité pendant la longue rencontre de jeudi : un article qui est paru mercredi dans le Globe and Mail a en effet temporairement éclipsé l’enjeu qui devait être le thème principal des audiences.

Selon ce que le quotidien a rapporté, Affaires mondiales Canada aurait été informé que la Russie était sur le point d’envahir l’Ukraine et que les Ukrainiens qui travaillaient pour l’ambassade du Canada figuraient probablement sur des listes de personnes que Moscou avait l’intention de traquer.

Comme elle l’avait fait mercredi, la ministre Mélanie Joly a assuré qu’elle n’avait reçu aucune information sur les périls qui auraient pu guetter les Ukrainiens travaillant à l’ambassade. Ces derniers se sont vu offrir « différentes possibilités pour immigrer au Canada s’ils décidaient de quitter l’Ukraine », a-t-elle ensuite écrit sur Twitter.

« Je comprends que les Canadiens veuillent faire la lumière sur cette affaire. Moi aussi », a-t-elle conclu.