(Ottawa) Une nouvelle étape est franchie dans le processus d’indemnisation des enfants des Premières Nations et de leurs familles qui ont été lésés par le sous-financement discriminatoire et chronique des services à l’enfance : une entente d’une valeur de 20 milliards vient d’être signée entre le fédéral et les demandeurs de l’action collective.

L’accord de règlement final d’indemnisation entre le gouvernement du Canada, l’Assemblée des Premières Nations (APN) et les demandeurs dans deux actions collectives, qui a été signé lundi, devra être validé par le Tribunal canadien des droits de la personne, puis soumis à la Cour fédérale du Canada pour approbation.

Le pacte prévoit le versement de 20 milliards à des dizaines de milliers d’enfants autochtones qui habitaient des réserves situées dans certaines provinces et au Yukon, et qui ont été retirés de leur foyer entre avril 1991 et mars 2022 pour ensuite recevoir des services sciemment sous-financés par le fédéral.

Il vient sceller une entente de principe qui avait été conclue en janvier dernier, et il fait également partie d’un règlement global totalisant 40 milliards. L’autre moitié de l’enveloppe servira à jeter les bases d’une réforme quinquennale des services à l’enfance dans les communautés autochtones aux quatre coins du pays.

« Cet accord de règlement final est un pas important vers la reconnaissance des torts causés et le début du difficile travail de guérison », a déclaré par voie de communiqué la ministre des Services aux Autochtones, Patty Hajdu, soulignant qu’« aucune indemnisation » ne peut guérir les douleurs et traumatismes subis.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE L’ASSEMBLÉE DES PREMIÈRES NATIONS DU MANITOBA

La cheffe de l’Assemblée des Premières Nations du Manitoba, Cindy Woodhouse, s’est dite fière de ce « tournant historique ».

« Les enfants des Premières Nations ont toujours mérité d’être traités de manière juste et équitable, et ce règlement reconnaît que ce n’était ni la politique ni la pratique », a affirmé dans le même communiqué Cindy Woodhouse, cheffe régionale pour le Manitoba de l’APN.

On observe beaucoup plus de placements d’enfants autochtones que d’enfants non autochtones au pays. Les chiffres du recensement de 2016 démontrent que moins de 8 % des enfants de moins de 15 ans étaient autochtones, mais ils représentaient 15 % de l’ensemble des enfants placés en foyers d’accueil.

Des décennies de bataille judiciaire

L’entente paraphée lundi, que l’APN qualifie « d’indemnisation historique », vient clore une saga judiciaire qui s’est échelonnée sur quelque trois décennies. Elle est aussi le fruit de plusieurs mois de négociations qui ont toujours été considérées comme « fragiles » par les libéraux.

Le gouvernement Trudeau avait essuyé d’acerbes critiques de plusieurs groupes autochtones pour sa décision de porter en appel un jugement rendu en 2019 par le Tribunal canadien des droits de la personne, qui fixait à 40 000 $ la somme à verser à chacun des enfants lésés – le maximum qu’il pouvait accorder.

En octobre dernier, en même temps qu’il interjetait appel d’une décision de la Cour fédérale maintenant cette ordonnance, le gouvernement lançait des négociations sous la supervision du sénateur à la retraite Murray Sinclair, qui a présidé la Commission de vérité et réconciliation sur les pensionnats autochtones.

La répartition des 20 milliards reste à déterminer en fonction du nombre de victimes qui se manifesteront, et donc, il est difficile d’établir leur nombre, d’autant plus que les parents et les tuteurs sont admissibles à une indemnisation.

La somme que chacun touchera dépendra de divers facteurs, dont la gravité des sévices.

« Nous allons étudier l’entente afin de nous assurer que les enfants et les familles ayant droit aux 40 000 $ en vertu de l’ordre du tribunal obtiennent […] ce montant », a réagi lundi sur Twitter Cindy Blackstock, de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations.

Le « principe de Jordan »

L’accord met du même coup fin à un litige touchant les enfants pénalisés par la définition étroite qu’a faite le fédéral du « principe de Jordan ». Celui-ci veut qu’un enfant autochtone touche les services dont il a besoin lorsqu’il y a querelle de compétence entre Ottawa et les provinces.

Il a été nommé à la mémoire de Jordan River Anderson, de la nation crie de Norway House, au Manitoba.

« Né avec des besoins médicaux complexes, il passe plus de deux ans inutilement à l’hôpital tandis que la province du Manitoba et le gouvernement fédéral argumentaient à savoir qui devrait payer pour ses soins à domicile. Jordan est décédé à l’hôpital à l’âge de 5 ans, jamais il n’a pu passer une journée dans son foyer familial », lit-on sur le site web de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations.

Consultez « En mémoire de Jordan River Anderson »

Avec La Presse Canadienne