(Québec) L’animateur de radio et ancien ministre péquiste Bernard Drainville fait un retour en politique et portera les couleurs de la Coalition avenir Québec (CAQ) dans Lévis aux élections générales.

La station montréalaise de Cogeco, 98,5 FM, a annoncé la démission de son animateur et son retour en politique vendredi matin, ce qui a causé un séisme sur la colline Parlementaire à Québec.

Si François Legault s’est contenté de dire qu’il parlerait de sa nouvelle recrue « en temps et lieu », la semaine prochaine, son ministre Éric Caire a traduit l’euphorie dans le camp caquiste lorsqu’il a rejoint à toute vitesse le premier ministre vers le Salon bleu. « Chef, ça, c’est la meilleure tranche de steak au monde ! Tous les journalistes sont là-dessus ! », lui a-t-il dit à voix basse, mais assez clairement pour que La Presse l’entende dans le corridor.

Tout a commencé quand Bernard Drainville a laissé entendre à des conseillers du premier ministre qu’il s’ennuyait de la politique, lors d’une rencontre amicale en avril. Le mot s’est passé, mais les démarches sérieuses ont eu lieu plus récemment. Le chef de cabinet de M. Legault, Martin Koskinen, s’est entretenu avec Bernard Drainville samedi. Depuis, les évènements se sont bousculés : l’animateur s’est retiré des ondes après son émission de mardi et a rencontré le premier ministre mercredi pour sceller l’affaire.

Candidat dans Lévis

Résidant de Saint-Augustin-de-Desmaures, dans la région de Québec, Bernard Drainville se présentera dans Lévis. Le député caquiste de cette circonscription, François Paradis, président de l’Assemblée nationale, a confirmé vendredi par communiqué qu’il ne solliciterait pas un troisième mandat et quitterait la vie politique. Cette annonce était prévue à la fin de la session le 10 juin, disait-on à la CAQ récemment. « Les agendas changent » lorsque « les astres s’alignent », a reconnu M. Paradis à La Presse. Il a expliqué que « quatre ans supplémentaires [l’auraient] mené à l’aube des 70 ans ».

En 2018, l’ancien animateur télé l’avait emporté avec 57 % des suffrages et une forte majorité de 14 500 voix.

La rumeur d’un saut de Bernard Drainville à la CAQ circule sur la colline Parlementaire depuis longtemps. Le principal intéressé disait toujours que telle n’était pas son intention. Son fils aîné, Lambert Drainville, est récemment devenu attaché de presse du ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant.

Le Parti québécois n’est pas surpris de la décision de M. Drainville. « La seule question qu’il restait, c’est quand il allait l’annoncer », a lancé le député péquiste Pascal Bérubé.

Il a remis en question l’intégrité de l’animateur de radio. « Depuis quand sait-il qu’il sera candidat de la CAQ ? Quand a-t-il commencé à négocier ? », a-t-il lancé, reconnaissant que les mêmes questions avaient été posées à M. Drainville en 2007 lorsque celui-ci avait annoncé sa candidature pour le Parti québécois. Il était à l’époque chef du bureau parlementaire de Radio-Canada à Québec et avait fait une entrevue avec le chef péquiste André Boisclair quelques jours plus tôt.

« Depuis des années », « j’affirme sans aucune ambiguïté qu’il a été complaisant [sur les ondes du 98,5 FM] et s’est toujours préservé d’attaquer directement la CAQ », tout en étant « dur » envers les autres partis, a ajouté Pascal Bérubé.

Ressources naturelles

Au cours des dernières années, Bernard Drainville a montré un grand intérêt pour les dossiers liés à l’exportation d’hydroélectricité et au développement de la filière des batteries électriques. Le magazine Les Affaires souligne d’ailleurs qu’il aurait manifesté le souhait d’obtenir le poste de ministre des Ressources naturelles dans ses négociations avec la CAQ. Son titulaire actuel est Jonatan Julien, député de Charlesbourg. « Bonne fin de semaine ! », s’est contenté de répondre ce dernier aux journalistes en sortant du Salon bleu.

Une source caquiste a indiqué à La Presse que M. Drainville aurait plutôt fait savoir qu’il ne veut pas hériter de dossiers identitaires, comme la langue et l’immigration.

Pascal Bérubé a balayé les questions portant sur le signal qu’envoie la décision de Bernard Drainville au sujet de l’état du Parti québécois. Il a soutenu qu’il restait fidèle à ses convictions souverainistes, accusant M. Drainville d’être devenu fédéraliste.

Le Parti libéral voit les choses d’un tout autre œil. « Bernard Drainville ne rentre pas en politique pour être un chantre du Canada. Bernard Drainville va chanter la chanson que François Legault a déjà entamée et entonnée sur la gouvernance séparatiste ! », a décoché le député Marc Tanguay. Si l’on tient compte en plus de la candidature de l’ancienne bloquiste Caroline St-Hilaire, « l’agenda est de moins en moins caché », selon lui. « Il ne reste plus grand place aux fédéralistes à la CAQ », a-t-il dit.

Mais d’après le ministre de la Famille, Mathieu Lacombe, « Marc Tanguay est dans la théorie du complot ». « Les fédéralistes sont nombreux à la CAQ », a-t-il soutenu, se décrivant lui-même comme un « nationaliste qui est aussi fédéraliste ».

« [À la] CAQ, on n’est pas souverainistes ni nationalistes, a dit de son côté le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon. [On est] dans un contexte de fédération qu’on respecte. Moi, je suis fédéraliste. » Pour lui, « il n’y a pas de danger, le caucus ne sera pas souverainiste ».

« Le Parti québécois nous traite de fédéralistes, les libéraux essaient d’agiter l’épouvantail du référendum, c’est deux fois n’importe quoi », a affirmé le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge. L’ancien président de l’association péquiste dans Vachon (2007-2008) n’a pas voulu revenir sur ses convictions indépendantistes qui remontent selon lui « à juste après Mathusalem ».

« Ce n’est pas l’objectif de la CAQ » de faire un référendum sur la souveraineté, a tenu à préciser François Legault au Salon bleu. « On est un parti nationaliste qui défend nos valeurs à l’intérieur du Canada. »

Selon le co-porte-parole de Québec solidaire Gabriel Nadeau-Dubois, le recrutement du « père de la Charte des valeurs » est « tout à fait cohérent avec la stratégie électorale de François Legault [axée] sur la laïcité et l’immigration ».

Député du Parti québécois de 2007 à 2016, Bernard Drainville a été ministre responsable des Institutions démocratiques sous le gouvernement Marois. Il a réformé la loi sur le financement des partis politiques, mais il est surtout connu pour avoir porté le projet de Charte des valeurs. Il s’était porté candidat à la succession de Pauline Marois comme chef du Parti québécois, jetant l’éponge en pleine course pour appuyer Pierre Karl Péladeau.

Avec la collaboration de Fanny Lévesque, Charles Lecavalier et Hugo Pilon-Larose, La Presse