(Québec) À la suite de l’affaire Louis Robert, le gouvernement Legault souhaite séparer la vente de pesticides du travail de service-conseil offert aux agriculteurs par les agronomes, dans un projet de loi déposé à la toute fin de la dernière session parlementaire avant les élections.

« L’actuelle Loi sur les agronomes qui encadre la profession d’agronome au Québec a été adoptée en 1973 et n’a pas été mise à jour depuis. Devant le constat que ce cadre n’est plus adapté à la pratique moderne de l’agronomie, le gouvernement propose […] de séparer la vente d’intrants agricoles et les services-conseils offerts aux producteurs agricoles par les agronomes », souligne le cabinet du ministre de l’Agriculture André Lamontagne dans un communiqué de presse.

L’agronome Louis Robert, qui avait dénoncé en 2019 l’ingérence des entreprises privées dans la recherche publique, avait de nouveau fait les manchettes en 2021 en publiant un livre intitulé Pour le bien de la terre, où il a levé le voile sur les pressions indues de l’industrie des engrais et des pesticides. « Les entreprises qui proposent des produits fertilisants et des pesticides [ont] la mainmise sur une partie de notre agriculture », y dénonçait M. Robert. Il critiquait les agronomes du secteur privé, qui prescrivent les pesticides et les vendent.

En réaction à la publication du livre de l’agronome, le ministre de l’Agriculture, André Lamontagne, avait assuré que « les questions de fond soulevées par Louis Robert depuis quelques années se retrouvent au cœur de l’action gouvernementale » et qu’il « s’opère en ce moment un changement de culture au MAPAQ et dans l’ensemble des pratiques agricoles au Québec ».

Conflit d’intérêts

En février 2020, un rapport de la Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelles de l’Assemblée nationale rapportait que pour plusieurs intervenants, « agronome lié à l’industrie ne peut pas être en mesure de conseiller ses clients sans avoir un potentiel conflit d’intérêts, surtout dans les cas où il reçoit un incitatif de son employeur pour la vente de produits ».

« Selon des études, les services-conseils donnés par des conseillers non liés favorisent davantage l’adoption de pratiques agroenvironnementales. Ceux prodigués par des conseillers liés mènent plus souvent à des recommandations d’utilisation de pesticides », résumaient les parlementaires.

La proposition gouvernementale a toutefois peu de chance d’être adoptée, puisqu’il reste moins de deux semaines de travaux parlementaires avant la pause estivale, qui précède les élections générales de l’automne. « Peut-être que ce projet de loi là aurait pu être déposé un peu plus tôt », a noté le leader parlementaire libéral André Fortin.

La députée de Québec solidaire Émilise Lessard-Therrien note de son côté que ce petit projet de loi d’une quinzaine d’articles répond à plusieurs préoccupations soulevées dans le rapport de la CAPERN. Elle se demande toutefois « pourquoi un si petit projet de loi a pris autant de temps à être rédigé ». Elle estime toutefois qu’il n’est pas impossible qu’il soit adopté s’il fait « consensus ».

Vente libre des pesticides

L’Ordre des agronomes lui ne s’oppose pas au projet de loi, il milite pour une refonte de la loi et la séparation des services-conseils et de la vente de pesticides et de fertilisants. Sa présidente, Martine Giguère, fait deux critiques à l’égard du projet de loi. Le ministre Lamontagne, au lieu de permettre à l’Ordre d’inscrire cette interdiction à l’intérieur du Code de la profession, le fera dans un règlement qu’il rédigera lui-même. Et il n’interdira pas toutes les substances, seulement quelques-unes.

« La liste des intrants reste à définir. Quand on parle d’intrants, on parle de pesticide ou de fertilisants. Nous, on ne ciblait pas certains produits, on ciblait tous les intrants. La, avec un règlement, ils vont cibler certains intrants », note-t-elle en entrevue avec La Presse. Québec prévoit également des exceptions à cette interdiction. « La finalité est la même, donc on reste satisfait », souligne-t-elle.

Elle croit également que le projet de loi devrait interdire la vente libre des pesticides. Québec aura plus de chance d’atteindre sa cible de réduction de l’usage des pesticides en forçant les agriculteurs à obtenir une prescription d’un agronome pour les utiliser.

« Actuellement, la plupart des pesticides peuvent être achetés en vente libre », souligne-t-elle. Les agronomes pourraient plutôt proposer aux cultivateurs des « méthodes alternatives » ou des « pesticides avec un plus faible impact ».