Les électeurs ontariens iront aux urnes le 2 juin pour choisir leur prochain gouvernement. La Presse s’est promenée dans le Grand Toronto pour prendre le pouls de nos voisins de la plus populeuse des provinces canadiennes.

(Toronto) « M. Ford, avez-vous parlé à une infirmière récemment ? Avez-vous parlé à une infirmière du manque de respect qu’elles ressentent, comment elles sont surmenées, sous-payées et dévalorisées ? »

Cette question assassine lancée par le dirigeant du Parti vert, Mike Schreiner, lors du débat des chefs la semaine dernière résume un sentiment répandu parmi ces professionnelles de la santé.

PHOTO FRANK GUNN, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le débat des chefs, le 16 mai dernier : le leader conservateur Doug Ford, à gauche, et le leader du Parti vert Mike Schreiner, à droite.

Une vingtaine d’infirmières sont réunies devant l’Hôpital général de North York, au nord du centre-ville de Toronto, pour réclamer l’abolition de la Loi sur la rémunération dans le secteur public, que tout le monde ici appelle la « loi 124 ». L’organisatrice de la manifestation en attendait une centaine, mais la pénurie de personnel les empêche de venir.

« Désolée, nous manquons d’infirmières dans mon unité », s’excuse l’une d’elles. Elle prend une pancarte, rejoint le groupe durant ses dix minutes de pause avant de retourner travailler.

PHOTO MYLÈNE CRÊTE, LA PRESSE

Les manifestants réclament l’abolition de la « loi 124 », qui plafonne à 1 % les hausses de salaires annuelles des employés du secteur public en Ontario.

Comme au Québec, la pandémie de COVID-19 a occasionné une surcharge de travail pour le personnel infirmier ontarien. Or, contrairement au gouvernement de François Legault qui a consenti aux infirmières des hausses de salaire annuelles de 2 % et des primes, le gouvernement progressiste-conservateur de Doug Ford a plutôt plafonné leurs augmentations à 1 % par année avec la Loi visant à mettre en œuvre des mesures de modération concernant la rémunération dans le secteur public de l’Ontario.

Cette législation adoptée en début de mandat revient le hanter aujourd’hui. Elle couvre tout le secteur public, mais fait particulièrement mal aux infirmières. Aux vacances sacrifiées durant les deux premières années de la pandémie, se sont ajoutées les pénuries de personnel et une inflation galopante dans une ville où le prix d’un quatre et demie dépasse les 2000 $ par mois.

« Beaucoup d’infirmières s’en vont dans le secteur privé où les agences paient 85 $ l’heure », constate à regret Jane Penciner, représentante syndicale locale.

Le salaire de départ dans le secteur public est de 34,24 $ l’heure et celui d’une infirmière avec 25 années de service est de 49,02 $, selon l’Ontario Nurses Association, leur syndicat. « Je ne m’attends pas à ce qu’une seule infirmière vote pour le Parti progressiste-conservateur », ajoute-t-elle.

PHOTO CARLOS OSORIO, ARCHIVES REUTERS

Comme au Québec, les infirmières ontariennes sont à bout de souffle après deux ans de pandémie.

« Dans mon unité, nous avons cinq infirmières au lieu de douze », explique Kari Jenkins, qui travaille au département de l’obstétrique. « Ce n’est pas sécuritaire pour les patients. »

De nouvelles infirmières à la rescousse

Les trois principaux partis de l’opposition promettent d’abroger la loi et d’embaucher davantage d’infirmières s’ils forment un gouvernement. Le Nouveau Parti démocratique (NPD) procéderait dès sa première journée au pouvoir et lancerait des négociations pour le renouvellement des conventions collectives. Le Parti libéral leur accorderait une augmentation de salaire, sans préciser à combien elle s’élèverait. Le Parti vert hausserait immédiatement leur salaire à 35 $ l’heure en attendant l’aboutissement des négociations avec leur syndicat.

« Je vais soutenir le parti qui va faire quelque chose pour les infirmières », affirme Janet Fralick, 67 ans, rencontrée à l’entrée d’un Shoppers Drug Mart dans la circonscription d’Etobicoke Centre, où les progressistes-conservateurs ont fait une percée en 2018. Elle n’a toujours pas fait son choix.

Photo COLE BURSTON, Agence France-Presse

La loi 124, c’est honteux ! Et nous avons reçu un chèque par la poste… C’est de l’argent qui aurait pu servir à payer les infirmières.

Janet Fralick, électrice de 67 ans

Elle fait référence aux 120 $ pour sa vignette d’immatriculation que le gouvernement ontarien lui a retournés juste avant les élections. Cette mesure, qui vise à remettre de l’argent dans les poches des contribuables, prive l’État de 1 milliard de revenus.

« Les infirmières qui ont pris soin de moi étaient parmi les meilleures, raconte pour sa part Anne Westren-Doll, qui a dû subir des traitements contre un cancer. Lorsque je vois à quel point elles travaillent et ce que le gouvernement leur fait, c’est insensé. »

Photo CARLOS OSORIO, REUTERS

Au lieu des hausses de salaire, Doug Ford promet plutôt de construire de nouveaux hôpitaux. « Lorsque nous avons formé le gouvernement, notre système de santé était brisé, a-t-il affirmé lors du débat des chefs. […] Nos hôpitaux étaient en désuétude depuis des décennies à cause du manque d’investissement. »

« Mais nous réinvestissons dans les soins de santé avec des sommes records. Nous investissons plus de 40 milliards de dollars dans de nouveaux hôpitaux – 50 projets dans toutes les régions. » Il a également souligné l’embauche de 8600 travailleurs de la santé supplémentaires. Les infirmières ne veulent plus travailler dans de vieux bâtiments construits il y a 80 ans, selon lui.

Il reste que tous les partis font face au même défi, celui de trouver suffisamment de personnel infirmier pour concrétiser leurs promesses.