(Ottawa et Québec) Aussitôt demandée, aussitôt déclinée. François Legault a réclamé sans succès mercredi la fermeture du chemin Roxham, une « passoire » qui permet l’entrée de « plus de 100 migrants par jour », ce qu’il juge inacceptable. Ottawa promet de continuer d’aider le Québec à les accueillir.

« Notre gouvernement travaille avec ses homologues américains sur les défis liés à la frontière commune, y compris l’Entente sur les tiers pays sûrs. Nous restons déterminés à moderniser l’Entente », a répondu le premier ministre Justin Trudeau aux questions du Bloc québécois, qui demande qu’Ottawa s’acquitte de la facture.

« Nous allons toujours respecter nos obligations nationales et internationales à l’égard des demandeurs d’asile », a-t-il ajouté.

La fermeture du chemin Roxham n’est pas l’approche privilégiée par le gouvernement fédéral, puisqu’elle pourrait inciter les demandeurs d’asile à traverser la frontière dans des boisés, où ils échapperaient au contrôle des autorités, a-t-on expliqué à son bureau.

En vertu de l’Entente sur les tiers pays sûrs, seuls les individus qui présentent une demande d’asile à un poste frontalier officiel sont refoulés en territoire américain. La Presse avait appris en décembre qu’Ottawa voulait colmater la brèche qu’est devenu le chemin Roxham, situé à Saint-Bernard-de-Lacolle.

Des modifications à cette entente donneront aux autorités canadiennes le pouvoir de refouler un demandeur d’asile aux États-Unis, peu importe s’il se présente à un point d’entrée officiel de la frontière canado-américaine pour faire cette demande ou s’il la dépose après avoir traversé la frontière d’une manière irrégulière en empruntant le chemin Roxham, par exemple.

Le gouvernement fédéral verse déjà une aide financière au Québec par l’entremise du Programme d’aide au logement intermittent. Entre 2017 et 2020, 374 millions ont été remboursés. Le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Sean Fraser, a indiqué mercredi qu’Ottawa allait continuer de s’assurer que le Québec dispose « des ressources nécessaires pour gérer l’afflux » de demandeurs d’asile.

Mais avant de mettre en œuvre cette nouvelle entente, le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, et M. Fraser doivent adopter les règlements pertinents appliquant les changements. Leurs homologues américains doivent en faire autant. Et à Washington, ce dossier est loin d’être prioritaire.

« Impossible à gérer »

« On demande clairement au gouvernement fédéral, à Justin Trudeau, de fermer le chemin Roxham parce que ça devient comme impossible à gérer, la quantité de personnes qui arrivent par là. On ne peut pas continuer comme ça », avait lancé M. Legault en point de presse plus tôt dans la journée.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

François Legault, premier ministre du Québec

Une hausse marquée du nombre de migrants qui empruntent quotidiennement le chemin Roxham, qualifié de « passoire » par le ministre de l’Immigration du Québec, Jean Boulet, l’avait forcé à faire cette sortie, avait-il dit.

Actuellement, il rentre plus de 100 migrants par jours. Si vous faites une règle de trois, ça veut dire plus de 36 000 migrants par année. C’est inacceptable, c’est impossible. On n’a pas cette capacité.

François Legault, premier ministre du Québec

M. Legault déplore qu’une « bonne partie » des migrants qui empruntent le chemin Roxham « ne sont pas des réfugiés », mais que le délai de traitement du gouvernement fédéral – plus de 14 mois – retarde trop leur expulsion du pays. Pendant ce temps, le gouvernement du Québec doit « fournir des services, les loger, envoyer les enfants à l’école », déplore le premier ministre. « Notre capacité n’est pas illimitée. Tout d’un coup, il nous arrive 36 000 personnes de plus par année. Le gouvernement fédéral doit prendre ses responsabilités », estime-t-il.

Trop long pour travailler

Depuis la réouverture du chemin Roxham, 13 000 migrants ont franchi la frontière, selon M. Boulet. De ce nombre, 10 800 reçoivent des prestations d’aide sociale, a-t-il noté. Il s’en prend lui aussi au gouvernement fédéral, qui tarde à leur offrir un permis de travail – 11 mois en moyenne.

Cette arrivée massive de personnes exerce également de la pression sur le logement, a expliqué le ministre. « Ils bénéficient d’un hébergement temporaire d’une durée moyenne de 15 jours ; 75 % demeurent ici. Et donc, au-delà des 15 jours, c’est la pression sur les services publics d’emplois, sur le logement, sur les services de santé, les services sociaux, l’école », a-t-il énuméré.

Le ministre a affirmé que le Québec était ouvert à l’accueil humanitaire, mais de façon « ordonnée et légale ».

Au sujet de la demande de fermeture du chemin Roxham, la Coalition avenir Québec (CAQ) aura au moins un allié : le Parti québécois. Son chef, Paul St-Pierre Plamondon, fait également cette demande, et croit qu’il s’agit d’un « mauvais coup du fédéral qui cherche intentionnellement à créer le désordre à notre frontière ».

Il accuse toutefois la CAQ de jouer double jeu et d’être « déloyale » en affirmant d’un côté que la situation actuelle est « inacceptable », puis en signant de l’autre un contrat de 50 millions sur 10 ans pour loger les demandeurs d’asile passant par Roxham, comme l’a révélé Radio-Canada.

Avec Fanny Lévesque et Mylène Crête, La Presse, et La Presse Canadienne

Une première version de ce texte a été corrigée après que le bureau du premier ministre Justin Trudeau eut révisé la somme qu’il nous avait indiquée et qui a été remise au Québec pour l’accueil des demandeurs d’asile entre 2017 et 2020.