(Ottawa) La visite a été organisée dans le plus grand secret pour des raisons de sécurité. Le voyage de 12 heures en train de la Pologne jusqu’à Kyiv, dans la nuit de samedi à dimanche, a semblé interminable. Mais le message de solidarité qu’ont tenu à livrer de vive voix le premier ministre Justin Trudeau et deux de ses ministres au président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, était essentiel.

Cette visite surprise dans la capitale ukrainienne, dimanche, est survenue à un moment jugé stratégique par le gouvernement Trudeau : moins de 24 heures avant le traditionnel défilé militaire du 9 mai à Moscou qui souligne la victoire sur l’Allemagne nazie durant la Seconde Guerre mondiale.

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Le premier ministre Justin Trudeau était accompagné dans sa visite surprise à Kyiv des ministres Mélanie Joly (à gauche) et Chrystia Freeland (à droite).

À Kyiv, en plus d’annoncer une nouvelle aide militaire, le premier ministre, la ministre des Finances et vice-première ministre, Chrystia Freeland, et la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, ont profité de l’occasion pour rouvrir l’ambassade du Canada. Un autre puissant symbole qui démontre que la guerre illégale que mène Vladimir Poutine en Ukraine est loin de se dérouler selon les plans du président russe, estime la ministre Mélanie Joly.

« Cela faisait un certain temps que l’on travaillait sur cette visite. Mais il était important, pour des raisons stratégiques, de se rendre à Kyiv avant le 9 mai pour contrer la propagande russe », a affirmé au bout du fil la cheffe de la diplomatie canadienne, la voix solide malgré un voyage exténuant dans une zone de guerre.

Opération déminage

Concrètement, la réouverture de l’ambassade du Canada va permettre de resserrer encore plus les relations diplomatiques entre les deux pays et de cibler les besoins financiers et militaires du gouvernement ukrainien et la contribution canadienne.

En outre, cela va permettre au Canada de mobiliser les efforts de la communauté internationale pour procéder le plus rapidement possible au déminage des régions qu’ont pu reprendre les forces militaires de l’Ukraine.

La tâche visant à sécuriser le territoire reconquis s’annonce herculéenne, selon la ministre Joly. La délégation canadienne a pu en faire le constat en se rendant à Irpin, une ville de quelque 100 000 habitants en banlieue de Kyiv qui a été pilonnée pendant des semaines. D’innombrables affiches ont déjà été installées pour mettre tout passant en garde contre la présence de mines.

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Le premier ministre Justin Trudeau regarde un pont détruit à Irpin de la fenêtre de la voiture le transportant.

« Irpin, c’est une banlieue satellite qui pourrait ressembler à Mirabel ou encore à Boucherville. C’est un endroit où les jeunes familles achètent leur premier condo, leur première maison. Il y a des parcs partout et des jeux pour enfants. C’est très familial », a expliqué Mme Joly depuis Berlin.

[Irpin] était une ville stratégique pour la Russie dans son objectif de capturer Kyiv. La résistance de l’armée locale a été très forte, malgré le fait qu’il y avait huit soldats russes pour un soldat ukrainien. Mais les Russes ont miné l’ensemble du territoire de la ville. Il y a des mines antipersonnel partout.

Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères du Canada

Le Canada, qui est à l’origine de la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel signée en 1997, entend déployer les efforts requis pour libérer le territoire ukrainien de ces mines qui peuvent exploser sans avertissement. Durant la visite, M. Trudeau a d’ailleurs annoncé une aide financière pour accélérer la cartographie des villes et a offert les services d’experts canadiens en la matière.

« On va être là pour déminer l’Ukraine. C’est un gros travail qui doit être fait pour que la population puisse revenir de façon sécuritaire », a signalé Mme Joly.

« Extrêmement déterminés »

La ministre des Affaires étrangères s’était rendue en Ukraine en janvier, avant que la Russie envahisse le pays. La différence entre les deux visites est saisissante.

C’est un énorme contraste. Je le vois sur le visage des gens. Il y a une peine, une lourdeur. Les traits sont tirés. On voit l’anxiété. Il y a une fatigue qui est évidente. À Kyiv, les lieux publics sont vides, les couvre-feux sont constants.

Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères du Canada

En guise de précaution, les rideaux des wagons du train transportant la délégation canadienne ont été baissés pendant le voyage aller-retour. Dans les rues de Kyiv, le convoi de voitures circulait phares éteints pour ne pas attirer l’attention. Signe que les bombardements sont toujours possibles aux portes de la capitale, M. Trudeau et les membres de la délégation canadienne ont pu entendre les sirènes retentir peu de temps après leur arrivée au palais présidentiel.

« En entendant les sirènes, on savait qu’il pouvait y avoir des frappes dans un rayon de 200 kilomètres de Kyiv. Mais en même temps, la résilience du président Zelensky et de son peuple face à l’ennemi est très inspirante. Ils sont extrêmement déterminés », a précisé Mme Joly, qui compte se rendre à nouveau en Ukraine.

« Le fait qu’on a recommencé à voir l’unifolié dans les rues de Kyiv démontre que nous sommes là même dans les moments les plus difficiles. Le Canada est le meilleur ami de l’Ukraine. C’était une visite très importante. Et ce n’est certainement pas la dernière. »

Cette visite officielle n’était évidemment pas sans risque. Il est aussi rarissime que Justin Trudeau voyage en compagnie de la vice-première ministre Chrystia Freeland dans une zone de guerre. Car en cas de décès du premier, c’est à Mme Freeland que reviendrait la tâche d’exercer les fonctions de premier ministre, selon un décret établissant l’ordre hiérarchique au cabinet. Si un malheur devait survenir aux deux, le prochain sur la liste est le ministre comptant le plus d’ancienneté, soit le ministre des Anciens Combattants, Lawrence MacAulay.