(Ottawa) La démission subite et expéditive de Catherine Cano de son poste d’administratrice de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) a causé une véritable commotion dans les plus hauts rangs de la diplomatie canadienne. On a fait des pieds et des mains pour que le départ se fasse dans la « dignité », mais surtout, pour que le pacte conclu entre le Canada et le Rwanda au sommet d’Erevan, en 2018, soit respecté.

Le 16 octobre 2020, Catherine Cano rencontre la secrétaire générale de l’OIF, l’ancienne ministre des Affaires étrangères du Rwanda Louise Mushikiwabo. Celle qu’Ottawa avait accepté d’appuyer – en lâchant par le fait même la secrétaire générale sortante Michaëlle Jean – en échange d’un appui de la France et des pays de l’OIF au Canada dans sa quête d’un siège au Conseil de sécurité, et de la garantie d’avoir un Canadien au poste de numéro deux.

Le tête-à-tête a été bref.

« La rencontre entre Catherine et la SG secrétaire générale s’est tenue tel que prévu ce matin, et en moins de 5 minutes », a écrit Isabelle Hudon, qui était alors ambassadrice du Canada en France, dans un échange de courriels.

Le départ, lui, a été rapide.

À 14 h 45, ce jour-là, Catherine Cano décollait de Paris pour rentrer à Montréal. Et compte tenu de la « teneur de la conversation » entre les deux femmes, l’ancienne ambassadrice a cru bon de laisser la poussière retomber, lit-on dans le même échange de courriels daté du 16 octobre 2020.

Cette correspondance entre hauts fonctionnaires installés à Paris et à Ottawa s’est échelonnée sur plusieurs jours. Et à l’instar de plusieurs autres contenus dans des documents obtenus par La Presse en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, elle démontre que le divorce n’a pas été heureux.

À l’OIF, on a voulu prendre le contrôle du message et défendre la patronne.

On a promptement envoyé au front les collaborateurs de Louise Mushikiwabo. Sa directrice des communications a critiqué les méthodes de gestion « chaotiques » de Mme Cano et l’a accusée d’avoir mené des employés à l’épuisement professionnel.

« Nous vous proposons d’indiquer que vous avez quitté vos fonctions pour des raisons personnelles/familiales », disait-on à un haut fonctionnaire d’Affaires mondiales Canada de conseiller à Catherine Cano dans un courriel, le 17 octobre 2020.

« C’est bon. Il faut également dire clairement que nos objectifs sont d’assurer une transition harmonieuse, convenir d’une histoire permettant à tous d’en sortir dignement, et remplacer Catherine par un autre Canadien afin de conserver ce poste comme un poste canadien », a réagi le lendemain un autre haut fonctionnaire.

Relation « exécrable »

Les raisons du départ fracassant de cette gestionnaire issue du monde des médias, dont le traitement salarial de base était d’environ 235 000 $, ne sont pas précisées dans les documents. Les passages faisant référence à la lettre de démission qu’elle a envoyée du Canada deux jours après avoir claqué la porte sont caviardés.

La principale intéressée a préféré réserver ses commentaires. Même chose du côté de l’ex-ambassadrice Hudon, qui est maintenant présidente et cheffe de la direction de la Banque de développement du Canada, et qui occupe par ailleurs toujours le poste de sherpa du premier ministre pour la Francophonie.

Des sources gouvernementales et diplomatiques canadiennes consultées dans le cadre de ce reportage se sont montrées critiques du style de la Rwandaise, et étaient par ailleurs encore étonnées de l’arrivée aux commandes de l’OIF d’une nation qui a remplacé le français par l’anglais comme langue d’enseignement dans les écoles et dont le bilan en matière de droits de la personne est loin d’être reluisant.

Lorsque Michaëlle Jean a été dégommée au sommet d’Erevan, en 2018, éclaboussée par des scandales financiers, l’OIF croulait sous les reproches. Opacité, reddition de comptes déficiente, mauvaise gouvernance. Dans son allocution de victoire, Louise Mushikiwabo avait promis d’assainir les pratiques. Un article paru en avril 2021 dans le quotidien Libération laisse entendre qu’il y règne un « climat délétère » sous sa houlette.

« La quasi-totalité des directeurs a été remplacée, une vingtaine de salariés ont été licenciés sans ménagement et plusieurs cadres ont démissionné », et les relations entre la secrétaire générale et son administratrice, elles, étaient « notoirement exécrables », du « jamais vu à l’OIF », écrit le journaliste sur la foi de certains témoignages.

Dans la foulée de la démission de Catherine Cano, au Canada, on se réjouissait que de telles critiques circulent. « L’article [caviardé] est intéressant en ce sens qu’il se termine par une remise en question du style de gestion de Louise Mushikiwabo », soulignait un fonctionnaire le 23 octobre 2020. Mais « nous ne voudrons pas envenimer la situation », prévenait un de ses collègues.

Le Canada garde le fort

Le Canada, tout de même, est parvenu à garder le poste de numéro deux. C’est Geoffroi Montpetit, un ex-chef de cabinet au ministère fédéral du Développement international, qui a repris le flambeau en mars 2021. Une présence qui est entièrement justifiée à la table, même si la vaste majorité des locuteurs francophones se retrouve en Afrique, argue une source canadienne qui a requis l’anonymat afin de s’exprimer plus librement.

« On entend parfois le Sud critiquer le Nord sous prétexte que le nombre de locuteurs francophones est supérieur en Afrique. Un instant. Le Canada est le deuxième bailleur de fonds de l’OIF, après la France. Il est tout à fait normal que nous puissions contrôler la gestion », insiste cette personne.

La secrétaire générale de l’organisation comptant 88 États et gouvernements effectue une tournée au Canada cette semaine. Elle commence avec un discours lundi matin au Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM) – là même où Catherine Cano s’était exprimée virtuellement le 15 octobre 2020, la veille de sa démission.

En savoir plus
  • 86 millions
    Budget projeté de l’Organisation internationale de la Francophonie pour l’année 2022.
    Source : OIF
    42 millions
    Contribution annuelle du Canada aux institutions de la Francophonie, dont environ 20 millions vont à l’OIF.
    Source : Affaires mondiales Canada (données de 2020-2021)