(Ottawa) Le ministre de la Santé, Jean-Yves Duclos, et la ministre des Femmes, Marci Ien, ont pour mandat de revoir le cadre légal entourant le droit à l’avortement afin de le solidifier. En campagne électorale, les libéraux avaient promis d’introduire une pénalité financière applicable automatiquement aux provinces qui en limitent l’accès.

« Une loi, c’est beau, mais il faut aussi pouvoir l’appliquer, a affirmé le ministre Duclos en mêlée de presse mercredi. C’est pourquoi on va continuer d’utiliser ces mécanismes, mais on va aussi les renforcer. »

Le gouvernement privilégierait la voie de règlementaire en vertu de la Loi canadienne sur la santé pour « accroître la clarté » sur les arrangements entre les provinces et le gouvernement fédéral, mais le premier ministre Justin Trudeau n’a pas exclu mercredi d’aller plus loin en légiférant.

« Je ne l’écarte pas, mais ce n’est pas la seule façon de le faire », a-t-il précisé en après-midi, avant de se rendre à la période des questions. « Certainement on regarde attentivement ce qui se passe aux États-Unis, on comprend les menaces qui existent pour les droits des femmes un peu partout dans le monde et on va s’assurer qu’on est en train de faire les bonnes choses. »

La veille, une fuite à la Cour suprême des États-Unis a causé une onde de choc. Le document obtenu par Politico a révélé qu’une majorité de magistrats a l’intention de renverser le jugement Roe c. Wade qui protège le droit là-bas depuis 1973.

Le Bloc québécois estime qu’Ottawa devrait se mêler de ses affaires sinon il risque, sans le vouloir, d’apporter des changements qui pourraient limiter le droit à l’avortement. « Paramétrer, ça va ouvrir un débat sur qu’est-ce qui est assez, qu’est-ce qui est trop, qu’est-ce qui n’est pas assez, a fait valoir son chef, Yves-François Blanchet. Il va falloir qu’il y ait un plafond à ce système-là tandis qu’à l’heure actuelle, c’est comme s’il y avait un principe qui doit être reconnu qui est que c’est un enjeu de santé. »

« Honte aux Québécois ! »

À l’instar de la vaccination obligatoire, les libéraux n’hésitent pas à faire de l’avortement un enjeu partisan même si la menace qui plane sur ce droit est aux États-Unis et non au Canada.

Les esprits se sont échauffés durant la période des questions lorsque la députée libérale Sophie Chatel a dénoncé le mutisme des dix députés québécois conservateurs sur le droit à l’avortement qui est en péril aux États-Unis.

« Ça va faire les menteries, sacrament », s’est exclamé le député Gérard Deltell, l’un des seuls qui avaient accepté de répondre aux questions des médias la veille. Les conservateurs avaient reçu la consigne d’éviter d’aborder le sujet.

« C’est un enjeu qui a été réglé depuis [des décennies] au Canada et c’est tant mieux ainsi », avait-il dit.

La question plantée posée par Mme Chatel à M. Trudeau a permis au premier ministre de lancer une attaque en règle contre ses adversaires qui s’est terminée par « honte aux Québécois », soulevant ensuite la colère du Bloc québécois. Il s’est par la suite excusé en disant qu’il voulait plutôt dire « honte aux conservateurs québécois ».

Un peu plus tôt dans la journée, M. Trudeau avait réitéré la position de son gouvernement. « Le libre choix d’une femme appartient à elle seule, avait-il rappelé avant la réunion hebdomadaire du caucus libéral. Toutes les femmes au Canada ont le droit à un accès légal et sécuritaire à l’avortement et le Canada, notre gouvernement, ne va jamais reculer dans la défense des droits des femmes ici, à la maison, et partout dans le monde. »

Le Nouveau-Brunswick, montré du doigt

L’accès aux interruptions volontaires de grossesse reste difficile au Nouveau-Brunswick, où le gouvernement progressiste-conservateur refuse de financer cette procédure dans une clinique de Fredericton, la seule du genre à l’offrir dans la province. Pour qu’il soit couvert par l’assurance-maladie, les femmes doivent se tourner vers l’un des trois hôpitaux de la province, à Moncton et à Bathurst, pour obtenir un avortement avec les délais que cela implique.

En 2021, le gouvernement fédéral avait retenu 140 000 $ du transfert en santé de la province parce qu’elle refuse de financer les avortements en clinique privée. En mars dernier, un montant de 64 850 $ a été de nouveau retranché.

L’Ontario a également vu son paiement réduit de 6560 $ en mars à cause de frais facturés aux patients dans certaines cliniques.

« J’ai demandé au ministre Duclos et à la ministre Ien de faire un suivi pour voir c’est quoi le cadre légal qu’on pourrait améliorer, dont on pourrait avoir besoin pour assurer que pas seulement maintenant, mais que sous n’importe quel autre gouvernement à l’avenir, les droits des femmes soient protégés », avait indiqué M. Trudeau en avant-midi.

Pour le député néo-démocrate, Don Davies, il faut que les pénalités soient revues à la hausse. « C’est une réponse appropriée de retenir un montant suffisant pour que la province corrige le tir », a-t-il affirmé.

La plateforme électorale des libéraux contient quatre promesses pour garantir le droit à l’avortement. En plus d’adopter des règlements en vertu de la Loi canadienne sur la santé pour améliorer l’accès aux interruptions volontaires de grossesses, ils avaient promis 10 millions pour que Santé Canada élabore un portail avec des renseignements « exacts, sans jugement » sur les droits reproductifs, jusqu’à 10 millions sur trois ans à des organismes locaux et d’éliminer le statut d’organisme de bienfaisance à des groupes antiavortement.