(Québec) Le chien de garde des données personnelles des Québécois veut obtenir son indépendance du gouvernement, qui le sous-finance. La Commission d’accès à l’information aurait besoin de doubler ses effectifs pour être en mesure de faire son travail alors que l’État songe à recueillir des données biométriques sur les citoyens.

« Je ne voudrais pas dire [qu’on est] édenté, mais on aimerait être capable de mordre quand il le faut. On nous a donné les dents en termes législatifs, mais […] pour être capable d’appliquer la loi de façon sévère, ça prend des bras », dit la présidente de l’organisme, Diane Poitras, dans une entrevue exclusive accordée à La Presse.

Depuis un an, la Commission d’accès à l’information (CAI) a reçu de nouvelles missions avec l’adoption de cinq mesures législatives lui demandant davantage de surveillance. La CAI dispose de 77 employés. Pour arriver à faire son nouveau travail, elle aurait besoin de 79 personnes de plus. Mais elle reste sur sa faim. Le ministre Éric Caire, responsable du dossier, a expliqué en commission parlementaire mercredi qu’il n’était pas possible d’augmenter le budget de l’organisme de près de 12 millions en raison de restrictions budgétaires liées à la pandémie.

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Éric Caire, ministre de la Cybersécurité et du Numérique et ministre responsable de l’Accès à l’information et de la Protection des renseignements personnels

Mais pour MPoitras, cette situation est anormale, puisque celui qui détermine son budget, M. Caire, est également celui qu’elle doit surveiller. C’est lui, notamment, qui veut mettre en place une identité numérique. C’est dans ce contexte qu’elle a affirmé, lors de l’étude des crédits du Secrétariat de l’accès à l’information, que « plus que jamais, la situation démontre que le budget de la CAI doit être protégé des décisions [du gouvernement] alors qu’elle est aussi chargée de le surveiller ».

« On ne s’imagine pas que le budget du Vérificateur général ou du Protecteur du citoyen soit déterminé par le gouvernement. Ce sont les parlementaires qui décident de leur budget », dit-elle en entrevue. Elle estime que son organisme devrait avoir la même « indépendance » et la même « capacité à remplir son mandat » que le VG. MPoitras souligne que la presque totalité de ses homologues des autres provinces et du fédéral sont indépendants du gouvernement.

Missions importantes

Elle se questionne par exemple sur l’usage des données biométriques par le gouvernement Legault, mais n’a pas toutes les ressources pour bien surveiller cette transition numérique.

Ce n’est pas banal, l’utilisation de renseignements biométriques par l’État. Ça prend des caractéristiques du corps pour les transformer en données. En soi, c’est intrusif.

Diane Poitras, présidente de la Commission d’accès à l’information

En cas de mauvaise utilisation, ou d’une fuite de donnée, ça remet en question « la capacité du citoyen à s’identifier ». « On ne peut pas remplacer son visage, son doigt, sa main », dit MPoitras. Elle s’inquiète par exemple de la « multiplication des banques de données biométriques ».

Avec un budget aussi mince, il faut aussi s’attendre à ce que les délais de traitement des dossiers à la CAI soient toujours aussi longs. « Les nouvelles responsabilités qu’on nous a confiées, elles vont subir le même sort. On ne pourra pas les traiter dans des délais meilleurs », craint-elle.

Et le chien de garde ne pourra pas faire de « surveillance proactive ». « Il y a énormément de projets annoncés ou en cours : transformation numérique, identité numérique, réforme en santé, pour n’en nommer que trois. S’assurer que tout ça se fait de façon conforme, c’est notre rôle comme organisme de surveillance », dit-elle.

Appui des libéraux

Le député libéral Gaétan Barrette a pris la défense de MPoitras. Il est persuadé « qu’elle ne peut pas remplir ses nouvelles fonctions avec le budget qu’on lui accorde ».

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Gaétan Barrette, député du Parti libéral du Québec

À elle seule, la loi 64 sur les renseignements personnels demande à la CAI une vingtaine de nouvelles tâches.

Elle doit :

  • Effectuer des enquêtes sur le respect des obligations légales des entreprises, des organismes publics et des partis politiques provinciaux, notamment quant aux nouvelles obligations (estimation d’une augmentation de plus d’une centaine d’enquêtes annuellement d’ici trois ans) ;
  • Réaliser des inspections sur les nouvelles obligations légales (environ une vingtaine annuellement) ;
  • Traiter les déclarations d’incidents de confidentialité et en assurer le suivi (une hausse substantielle est à prévoir à compter de septembre 2022 – l’expérience des autres provinces et du fédéral laisse présager une hausse de 400 %).

« C’est le chien de garde de l’information, et le ministre, lui, sciemment, va l’amputer », dénonce le député Gaétan Barrette. À son avis, le gouvernement Legault « met en danger la sécurité de l’information personnelle des Québécois » avec ce choix budgétaire.

En commission parlementaire, M. Barrette a fait remarquer à Éric Caire que les 12,5 millions réclamés par MPoitras ne représentaient qu’une goutte d’eau par rapport au budget du ministère de la Cybersécurité.

M. Caire a répliqué qu’il faudrait « expliquer ça aux contribuables qui font leur rapport d’impôt en ce moment que 12,4 millions, ce sont des peanuts ». Il estime que la CAI est capable de faire son travail avec le budget qui lui a été alloué, soit une hausse de 1,5 million en 2022-2023.